Corail | Buti, Gilbert; Raveux, Olivier

Corail 309 près d’un millénaire, la saison annuelle des pêches, principalement de mars-avril à septembre, jette vers les grands gisements de Méditerranée occidentale les cora- lines italiennes, françaises et espagnoles, ces barques spécialement construites pour racler les fonds marins avec la croix de Saint-André. Dans cette spécialité éprouvante physiquement pour les équipages, plusieurs « nations » se distinguent. Corses, Catalans, Provençaux, Génois et Napolitains fournissent le gros des corail- leurs durant la période moderne, avant que les Italiens ne règnent finalement sans partage. De la fin du Moyen Âge au début du xix e siècle, le corail est l’objet de privilèges de pêche âprement disputés, notamment sur les côtes dotées des plus riches massifs, celles d’Algérie et de Tunisie. Au milieu du xv e siècle, le Catalan Rafaël Vives fonde un premier comptoir à Tabarka et inaugure une pratique adoptée par la suite par les Génois, les Siciliens et les Provençaux. L’importance croissante de la pêche du corail sur les côtes nord-africaines entraîne la création de grandes compagnies et l’attribution de concessions d’exploitation de la part des États barbaresques (régences de Tunis et d’Alger). Quelques familles font fortune grâce au corail du Maghreb, comme les Lenche au cours du xvi e siècle, Marseillais d’origine corse, fondateurs de la Compagnie du corail et d’un comp- toir à La Calle (Bastion de France, Algérie). Au même moment, des Génois, les Lomellini et les Grimaldi, mettent eux la main sur l’île de Tabarka (Tunisie) et y fondent un établissement permanent. Le corail relie donc les deux rives de la Méditerranée. Il entraîne également la mer Intérieure très loin de ses rivages. Dès l’Antiquité, il suscite la convoitise des Orientaux comme des sociétés celtiques. Au Moyen Âge, sa valeur intrin- sèque et sa valeur d’échange en font une des marchandises que les marchands affectionnent dans le cadre des trafics eurasiatiques. À partir du xvi e siècle, le commerce du corail intègre l’espace méditerranéen dans la première mondia- lisation, pour le meilleur et pour le pire. Le meilleur, c’est l’intensification des échanges avec l’Asie. Les xvii e et xviii e siècles forment le grand moment d’expor- tation du corail vers la Perse, l’Inde, la Chine et le Tibet. Deux voies de circula- tion et deux réseaux marchands communautaires sont alors en concurrence. Les Juifs séfarades sont les plus actifs sur la route transocéanique. Par leur implan- tation à Londres et à Madras, ils travaillent le plus souvent avec l’English puis British East India Company, en obtenant des licences ou en achetant des qui- rats de pacotille. Ils utilisent également la Carreira da India et exportent par- fois leurs marchandises avec la collaboration de négociants italiens de Lisbonne et d’hindous de Goa. Les Arméniens, notamment ceux de la Nouvelle-Djoulfa (Ispahan, Perse), passent plutôt par les Échelles du Levant (Alep et Smyrne) et les caravanes intra-asiatiques. Bien que rivaux, ces deux réseaux sont néanmoins complémentaires dans leurs résultats. Le corail de Méditerranée sert d’objet de troc et favorise l’arrivée en Occident de la soie du Guilan, des indiennes de la

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