Conflit | Sintès, Pierre; Cattaruzza, Amaël

Conflit 273 précisée, car elle ne tient compte que d’une perspective très partielle des dyna- miques sociales pouvant conduire à des violences armées. Tout d’abord, l’unité de la Méditerranée en la matière ne fait pas l’évidence, surtout quand on envi- sage l’extension chronologique ou géographique des guerres qui l’ont concernée. Celles qui ont mis aux prises d’importantes puissances régionales (Rome, Venise, Empire ottoman, Sainte-Ligue, etc.) émaillent certes son histoire, mais les der- nières décennies se caractérisent, au contraire, par la rareté de conflits opérant à cette échelle. Ils éclatent plutôt à présent dans des contextes bien particuliers, et leur extension demeure limitée. Ils ne concernent jamais plus l’ensemble de l’aire méditerranéenne mais plutôt ses voisinages les plus instables. A contrario , c’est plutôt la paix – et non la guerre – qui a conduit à des périodes identifiées d’unité méditerranéenne (Mare Nostrum / Pax romana). Conflits méditerranéens ou conflits en Méditerranée ? Ces premières constatations conduisent d’emblée à questionner un traitement proprement méditerranéen de la notion de conflit. Pourtant, certains voient dans ces conflictualités récurrentes une véritable particularité régionale. C’est le cas d’Yves Lacoste, qui l’attribue à différents traits : tensions et concurrences pour les ressources naturelles, ou encore grande diversité des sociétés dessinant des ensembles antagonistes (Lacoste, 2001). Ce type de raisonnement conduit à faire de la variété des caractéristiques des sociétés un facteur déterminant pour définir une région à haut risque géopolitique – comme si la différence entre les hommes et les sociétés devait conduire immanquablement à des rapports d’hos- tilité. Depuis le 11 Septembre 2001 et l’avènement de la théorie du choc des civilisations, ce type d’explication des conflits armés a été conforté (Huntington, 2000). On le retrouve dans le cas du conflit israélo-palestinien, où les deux partis s’appuient sur des versions très différentes de l’histoire du Proche-Orient, tout en l’incluant dans une logique opposant l’« Occident » à l’« Orient ». Les conflits qui ont embrasé la péninsule méditerranéenne des Balkans dans les années 1990 se sont, eux aussi, appuyés sur un antagonisme fondé sur des représentations divergentes de l’histoire. Pourtant, si les acteurs politiques et sociaux peuvent s’emparer de ce type de justifications, elles ne doivent pas être vues comme l’apa- nage de la Méditerranée, tant les « usages politiques du passé » accompagnent nombre de conflits à travers le monde, par l’exploitation politique des mémoires des populations concernées par des violences. Par ailleurs, les intérêts économiques ou stratégiques peuvent être des moteurs tout aussi puissants de certains conflits dans la région. La crise de Suez en 1956, qui a vu les troupes françaises et britanniques prendre le contrôle du canal reliant la mer Méditerranée à la mer Rouge que le gouvernement de Nasser venait de nationaliser, en est un exemple éloquent. Les conflits peuvent mettre aux prises

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