Clientélisme | Briquet, Jean-Louis

Clientélisme 256 dans leur environnement national. Les notables ont servi d’intermédiaires entre celles-ci et l’État ; ils ont relayé les décisions de ce dernier dans l’espace villageois, redéfini ses activités en fonction des enjeux et des intérêts locaux, et favorisé ainsi l’adaptation de nouveaux dispositifs politiques et bureaucratiques (élec- tions, opérations administratives, programmes d’aménagement) dans les péri- phéries de l’espace national. Cette perspective a dominé les sciences sociales jusqu’aux années 1970. Le clientélisme apparaissait comme l’expression d’un ordre social traditionnel que la médiation notabiliaire permettait d’acclimater à des logiques étatiques qui lui étaient en grande partie étrangères. C’est pourquoi la thèse prévalait selon laquelle il serait amené à disparaître avec la modernisation sociale et économique. Cette thèse a rapidement montré ses limites. Certes, les formes communautaires du clientélisme rural ont tendu à devenir marginales avec l’industrialisation, l’urbanisation et l’accélération de la mobilité sociale et pro- fessionnelle au cours de la seconde moitié du xx e siècle. L’essor des partis de masse, la modernisation des appareils administratifs, l’expansion de l’interven- tion de l’État, ont d’autre part entraîné l’émergence de nouvelles élites concur- rentes des notables traditionnels, qui ont promu des modèles alternatifs du lien politique, fondés non plus sur la proximité et la réciprocité des faveurs mais sur la défense d’identités et d’intérêts collectifs, la communauté de croyances ou l’engagement citoyen. Ces phénomènes n’ont cependant pas supprimé le clientélisme. La crois- sance des ressources publiques et la mainmise des responsables politiques sur les circuits de leur allocation ont pu, à l’inverse, encourager la formation de « machines politiques » agissant à l’échelle de grandes villes ou de régions entières, à l’instar de celles instaurées en Italie du Sud par la démocratie chré- tienne. L’attribution de logements, d’emplois et de marchés publics, l’intermé- diation avec les institutions politico-administratives, ont été dans ces cas des moyens prépondérants pour s’attacher de larges segments de l’électorat de la part de professionnels de la politique incarnant de nouvelles figures de la nota- bilité. La généralisation de pratiques clientélistes modernisées dans des grou- pements en mesure d’accaparer durablement le pouvoir d’État (parti unique en situation autoritaire, parti ou coalition hégémonique en régime pluraliste) a influé sur le mode de gouvernement de ces États : les échanges de clientèle ont été ici systématisés et se sont noués entre des secteurs entiers de l’appareil public (ministères, agences gouvernementales, réseaux de pouvoir de la haute administration) et des groupes catégoriels structurés (associations patronales, groupes de pression, syndicats). La permanence du clientélisme au cours des processus de modernisation a donc conduit les sciences sociales à élargir le champ d’application de la notion,

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