Cités barbaresques | Lafi, Nora

Cités barbaresques 251 de la Barbarie ». On a aujourd’hui une nouvelle vision des contacts entre les deux rives : la frontière a été, peu à peu, décrite comme « franchissable » (Planas, 2001). On en vient surtout à analyser aussi comment, au moment de l’intégration impériale ottomane des provinces d’Afrique du Nord, l’Europe a « réinventé » cette région comme Barbarie (Ben Rejeb, 2012). Le contexte est celui des interprétations proposées par Molly Greene (2000), autour du concept d’histoire partagée. Par ailleurs, on s’est peu à peu intéressé aux sociétés urbaines, notamment d’abord sous l’angle des conditions de vie des captifs : il s’est agi de démythifier cette dimension, et progressivement de se focaliser sur la vie urbaine elle-même dans des ports cosmopolites. Aujourd’hui, le princi- pal enjeu historiographique est assurément de mettre au jour la complexité du fonctionnement de ces sociétés urbaines, et ce qu’on peut appeler la gouver- nance de la diversité, afin de sortir des visions par trop dichotomiques ayant encore souvent cours. Une autre question cruciale est celle de l’intégration impériale ottomane, tant celle-ci a été constamment minimisée dans les inter- prétations successives de l’histoire des villes d’Afrique du Nord. Le renouveau actuel des études ottomanes invite à revisiter cet aspect. Toutes ces questions, de même que celles liées à la linguistique, autour de l’étude de la lingua franca , dont on sait aujourd’hui qu’elle était largement un mythe, se posent aussi à la représentation de ces villes et ports dans l’imaginaire européen, une représenta- tion que le terme même de barbaresque a continué, et continue parfois encore, à rendre caricaturale. C’est par des travaux fondés sur une attention aux sociétés urbaines que notre connaissance a récemment le plus progressé. Des études sur les catégories de la population dans une ville portuaire dite « barbaresque », comme Tunis, ont ainsi pu illustrer l’aspect construit des classifications ethnico-religieuses des habitants (Bargaoui, 2005). S’intéresser à la vie sur place des captifs a aussi pu amener à ne plus voir ces villes uniquement comme des lieux de séjour forcé pour des Européens prisonniers, mais aussi comme des réalités cosmopolites (Davis, 2001). Il en va de même pour les études d’histoire sociale sur le milieu des renégats (Norton, 2009). En somme, c’est toute l’image des « cités barba- resques » qui est aujourd’hui remise en cause. Ainsi, pour le cas d’Alger à l’époque ottomane, on connaît désormais mieux les ressorts de la vie quotidienne, du gouvernement local et d’une économie qui n’est en rien limitée à la course (Shuval, 1998). Si les déclinaisons locales de l’im- périalité demeurent encore largement à interpréter à la lumière des sources otto- manes, on a néanmoins une vision plus articulée de la société locale. Il en va de même pour Tunis. Taoufik Bachrouch (1977), dès les années 1970, avait tenté pour cette ville d’opposer à la vision d’une configuration « barbaresque » lue de l’extérieur une étude fondée sur une attention à la société locale. Paul Sebag (1989)

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=