Cinéma | Gaertner, Julien

Cinéma 243 méditerranéen reste central avec des caméras qui s’implantent au Maghreb où se tournent, au fil des décennies, des centaines de fictions. Dans les années 1930, le genre colonial connaît un âge d’or et fournit au cinéma français certains de ses chefs-d’œuvre. Parmi eux Pépé le Moko (Duvivier, 1937), à la fin duquel Jean Gabin dévale dans une course éperdue les escaliers de la Casbah d’Alger afin d’essayer de traverser la mer. Et si le cinéma colonial coûte parfois cher aux producteurs, une solution existe pour les plus désargentés : tourner dans les studios de cinéma de la Victorine construits à Nice en 1919. Perchés au-­ dessus de la Méditerranée, ils offrent une lumière et un décor naturel qui rap- pelle celui du Maghreb. Dans la cosmopolite Alexandrie, le septième art fait ses premiers pas dans les années 1910 sous l’impulsion de producteurs italiens et juifs tel Togo Mizrahi, mais aussi grâce à un réseau de salles étendu et à la présence d’acteurs et de met- teurs en scène de théâtre autochtones. Le premier long métrage égyptien est tourné par une cinéaste, Widad Orfi ( Leïla , 1927), quelques années avant que la diva Oum Kalthoum n’apparaisse sur grand écran ( Weddad , 1936). Suivront la chanteuse Asmahan, la danseuse Samia Gamal et les chanteurs vedettes Farid El Atrache, Mohammed Abdel Wahab ou Abdel Halim Hafez qui transforment Le Caire et ses studios Misr, où se concentre désormais la production, en véri- table Hollywood méditerranéen. Mélodrames et comédies musicales se succèdent, donnant lieu à des succès non seulement locaux mais aussi internationaux. Car le cinéma égyptien irradie dans l’ensemble du monde arabe grâce à un modèle économique qui l’installe durablement comme le principal producteur de films, lui assurant une domination culturelle régionale. Le pays consacre bientôt deux acteurs au milieu des années 1950 : Omar Sharif au destin américain, et Hind Rostom, la « Marilyn Monroe du Nil » à laquelle succède la « Cendrillon » des écrans arabes, Souad Hosni ( Hassan et Naïma , Barakat, 1959). C’est à cette période que Youssef Chahine se distingue des comédies musicales et des romances inspirées de succès hollywoodiens adaptés à la mode locale. Loin des décors déconnectés de la réalité égyptienne que sont les casinos, les somp- tueuses villas ornées de fontaines et les voitures décapotables, le réalisateur origi- naire d’Alexandrie plonge dans les tabous de son pays. Avec Gare centrale (1958), dans lequel il interprète un vendeur de journaux épris d’une femme inacces- sible qu’incarne Hind Rostom, Youssef Chahine s’impose comme un auteur incontournable du bassin méditerranéen, mettant en scène un quarantaine de longs métrages. Méditerranéen, le cinéaste égyptien l’est d’autant plus que Gare centrale est à mettre en filiation directe avec le néoréalisme italien, mouvement né des cendres de la Seconde Guerre mondiale. Le cinéma italien retrouve alors ses lettres de noblesse avec Rome, ville ouverte (Rossellini, 1945) et Allemagne,

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