Bibliothèque | Chapron, Emmanuelle

Bibliothèque 169 vers son angle nord-ouest. Les Provinces-Unies et l’Angleterre, devenues « magasins de l’univers », forment le creuset de nouveaux modèles biblio- théconomiques dont les répercussions se font sentir jusqu’à aujourd’hui tout autour de la Méditerranée. Mais l’histoire de la bibliothèque en Méditerranée est aussi celle d’un dia- logue entre deux rives, successivement accéléré ou ralenti, rarement interrompu, qu’il importe de retricoter. L’âge des empires : la Méditerranée comme « système textuel polycentrique » Fondée au début du iii e siècle av. J.‑C., la bibliothèque d’Alexandrie est la matrice d’un imaginaire du livre et de la bibliothèque qui constitue l’un des plus solides points communs entre les deux rives de la Méditerranée. Son souvenir hante les bibliothèques romaines du i er siècle av. J.‑C., les « maisons de la sagesse » de l’Islam médiéval, les fondations humanistes et princières de la Renaissance ita- lienne, le rêve irénique des polyhistoriens allemands du xviii e siècle, et jusqu’à la notice « Bibliothèque » de l’ Encyclopédie de Diderot et d’Alembert et aux réalisa- tions architecturales les plus contemporaines. Inversement, sa fondation résulte elle-même d’une confluence. À travers la figure de Démétrios de Phalère, dis- ciple d’Aristote et premier bibliothécaire alexandrin, les Ptolémées se posent d’abord comme les héritiers d’une invention née dans le milieu des écoles philo­ sophiques grecques, celle d’Aristote ou d’Épicure. La constitution de dépôts de livres reflète alors une transformation majeure dans les pratiques savantes, puisqu’elle rend possible l’exercice de la pensée à partir de la confrontation des textes et des idées : la doxographie. Des collections grecques au gigantisme alexandrin, il y a une différence d’échelle, celle que permet la greffe des systèmes archivistiques élaborés par les anciennes civilisations orientales pour conserver des quantités importantes de traces écrites. Mais il y a bien plus que cela. Car la bibliothèque d’Alexandrie est aussi, ou d’abord, un lieu de pouvoir. Comme le souligne Christian Jacob, la bibliothèque universelle doit être le jardin d’acclimatation de tous les savoirs de la « terre habitée », le moyen de leur ancrage dans l’espace linguistique et poli- tique de l’hellénisme. Réunis par une politique volontariste et systématique d’ac- quisitions, de traductions et de commentaires, les livres et le milieu intellectuel alexandrins donnent au royaume des Ptolémées un éclat culturel sans précédent. Ils constituent un point d’attraction pour les savants de toute la Méditerranée lagide, de Cyrène aux îles de l’Égée. La concurrence effrénée des royaumes rivaux

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