Bibliothèque | Chapron, Emmanuelle

Bibliothèque 168 Bibliothèque La Méditerranée est-elle une « machine à faire des bibliothèques » comme elle l’est, selon la formule de Paul Valéry, « à faire de la civilisation » ? Dans quelle mesure son espace est-il une échelle pertinente pour écrire une histoire des bibliothèques qui soit, indissociablement, celle des pratiques du travail savant, des enjeux de pouvoir liés à la maîtrise de l’écrit et des savoirs, du statut du livre dans la construction des identités collectives ? Inaugurée en 2002 sous les aus- pices de l’Unesco, la nouvelle bibliothèque d’Alexandrie porte les habits neufs d’un des paradigmes les plus anciens et les plus prégnants de l’imaginaire de la bibliothèque. Son architecture est saturée du souvenir de la fondation de Ptolémée Sôter, au début du iii e siècle av. J.‑C. Le disque géant de son toit penché vers la mer mime le passage des siècles et embrasse, de sa forme circulaire, tous les savoirs du monde. Mais sa gigantesque salle de lecture, capable d’accueillir 2 000 lecteurs sur ses sept niveaux en balcon, n’est pas celle des « bibliothèques sans public » du monde hellénistique, ressource d’une étroite élite savante qui poursuivait son travail et ses conversations dans les espaces semi-ouverts du jar- din et du portique. L’héritage qu’elle porte est plus récent et aussi plus septen- trional : c’est celui des grandes bibliothèques de lecture publique imaginées au xix e siècle, au British Museum ou à la Bibliothèque nationale à Paris. Rendre compte de la spécificité des phénomènes impose ainsi d’articuler la Méditerranée à des espaces plus larges, à géométrie variable, dont elle peut n’être qu’une périphérie. L’Antiquité hellénistique et romaine (iii e siècle av. J.‑C. – iv e apr. J.‑C.) est sans doute le seul moment où le monde des bibliothèques peut être embrassé à partir de la mer Intérieure. Lorsque le nouveau califat abbasside transporte sa capitale de Syrie vers la Mésopotamie en 750, l’orienta- lisation du monde arabo-musulman se ressent jusqu’à l’Espagne d’al-Andalus . C’est en grande partie par les travaux de copie, de traduction et de commen- taire réalisés à la Maison de la sagesse (Bayt al-hikma) de Bagdad que les livres d’Aristote ou de Ptolémée sont connus en Occident. Inversement, à partir du xvii e siècle, l’axe culturel et économique de l’Europe bascule progressivement

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