Arsenal | Acerra, Martine; Buti, Gilbert

Arsenal 119 houlette de l’ingénieur Groignard en 1774. Istanbul, s’inspirant de la méthode, creuse le sien entre 1797 et 1800. Le port de La Valette à Malte, aujourd’hui spécialisé dans la réparation navale des porte-conteneurs et autres supertankers, dispose de sept groupes de docks ou bassins à sec uniques en Méditerranée par leur taille et leur concentration. Multifonctionnel et stratégique, l’espace de l’arsenal est un lieu clos soli­ dement fortifié du côté de la mer et séparé de la ville qui le jouxte par de solides palissades ou murailles afin de le préserver des regards indiscrets, de réguler les flux d’hommes et de matériaux qui y entrent ou en sortent. La notion d’arse- nal s’accorde toujours à celles de surveillance, de protection, de sécurité interne et externe. Cacher ses forces navales permet de ménager l’effet de surprise face à un ennemi dont la curiosité le porte à l’espionnage. L’espace méditerranéen offre un remarquable observatoire de la naissance, de la croissance et de la diffusion des types d’arsenaux. Les besoins, les enjeux, les moyens des puissances en présence expliquent la trame de leurs implanta- tions successives. Depuis l’Antiquité, Phéniciens, Grecs, Romains ont ébauché ces espaces de concentration militaire à fonction productive. La pression des invasions barbares et les rivalités territoriales entre Méditerranée orientale et Méditerranée occidentale ont ensuite incrusté sur les rivages des places puissantes appuyées sur un arsenal. Le phénomène devient véritablement visible à compter de la quatrième croisade (1201‑1204). Jusqu’à la prise de Constantinople (1453), les puissances occidentales (Venise, Gênes, l’Espagne, la France), soutenues par l’autorité morale du pape, implantent en Méditerranée orientale des arsenaux, points d’appui fortifiés nécessaires à leur lutte pour les Lieux saints. Autant de sites attaqués par les forces seldjoukides puis ottomanes qui s’en emparent suc- cessivement grâce à l’efficacité de leurs arsenaux ou de ceux des régences d’Alger, de Tunis, de Tripoli. L’efficacité de l’arsenal d’Istanbul permet ensuite d’accen- tuer le mouvement avec, par exemple, la prise de Rhodes en 1522 et le retrait consécutif des chevaliers de Saint-Jean à Malte où ils fondent l’ébauche du pre- mier arsenal moderne de l’île dans la presqu’île protégée de Birgù. La bataille de Lépante (1571) ne remet pas en cause la présence en Méditerranée orientale de la marine ottomane. Malgré ses pertes, elle se reconstitue en quelques mois grâce aux infrastructures de l’arsenal d’Istanbul, véritable établissement indus- triel avant la lettre, appuyant son activité sur la production de ses chantiers-­ satellites des côtes turques. Il en sera de même après la bataille de Tchesmé en 1770. Cette situation d’appui d’un arsenal principal, tête de commandement de sites secondaires, se retrouve fréquemment en Méditerranée : Venise jouis- sant des apports de Raguse en Adriatique ; La Canée, avec Héraklion en Crète, en sont d’autres exemples.

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