Architecture | Tsiomis, Yannis

Architecture 115 fonctionnaliste d’urbanisme du IV e ciam n’est pas inspiré de la Méditerranée, mais il est exactement le contraire de ce qu’elle représentait, et représente encore, aux yeux de l’Europe du Nord et occidentale : le « farniente », la paresse sous le soleil, la non-productivité. La charte d’Athènes, manifeste « froid », s’adresse à la civilisation et aux pays industriels même si elle se proclame « universelle ». Athènes est un hasard ! En revanche, ce qui se passera un peu avant et surtout après la Seconde Guerre mondiale n’est pas un hasard. Ces quelques années avant les décolonisations massives coïncident avec l’usage des colonies comme banc d’essai pour l’urba- nisme métropolitain (au Maroc et en Algérie), mais aussi avec la découverte de l’anthropologie par les architectes. La jeune génération issue des ciam s’intéresse aux formes d’espace et aux modes de vie des Dogons (comme l’architecte hollan- dais Aldo Van Eyck) et des Arabes (comme les architectes Roland Simounet avec ses études des bidonvilles en Algérie ou Georges Candilis avec les constructions de logements sociaux adaptés au Maroc). La « méditerranéité » devient prétexte pour traiter spatialement des concepts éco-anthroposociologiques comme l’iden- tité, le lieu, le climat, les modes de vie différenciés. Ces concepts sont des inver- sions évidentes des principes de l’homme universel et de la ville fonctionnelle et rationnelle des ciam . Ils correspondent aussi aux temps du tiers-mondisme politique, militant et de la libération des peuples. Mais au-delà, ils correspondent à un moment de recherches typologiques, morphologiques et constructives renou- velées. Ce ne sont plus les principes abstraits ou les « styles » réinventés – et le « méditerranéen » en est un – mais le « lieu », la lecture progressive de l’espace urbain du privé au public, les « associations humaines » – maison, rue, quartier, ville – de Peter et Alison Smithson, la participation de Giancarlo De Carlo ou les logements sociaux en Italie, l’ ina -Casa de Bucchi ou Venturi (Bonillo et al. , 2006). L’écriture moderniste et dépouillée de l’atelier de Montrouge (Riboulet, Thurnauer, Véret) ou le « néorégionalisme-rationalisme » s’affichent partout sur le pourtour de la Méditerranée – Pierre Barbe dans le Var, Suzana et Dimitri Antonakakis en Grèce –, sont situés en Méditerranée mais sont débarrassés de « méditerranéité ». Et celui peut-être qui est le plus éloigné de cette dernière, le plus méditerranéen de tous : Fernand Pouillon qui, observant les lieux, invente de nouveaux types de formes et de méthodes constructives. C’est le moment où la Méditerranée perd de son aura et de son unité conceptuelle (c’est la fin du récit de Braudel), pour se partager entre espaces de consommation touristique et villes sinon métropoles étalées. L’espace méditerranéen se banalise et le Club Med remplace le mythe d’Ulysse. En ce xxi e siècle, parler de la Méditerranée comme espace d’inspiration cultu- rel, social, anthropologique, esthétique pour les architectes et urbanistes est un non-sens nostalgique. Ne vaudrait-il pas mieux parler, non plus de la ville et de

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