Architecture | Tsiomis, Yannis

Architecture 114 aussi bien nationaliste qu’esthétique et « internationaliste ». C’est cette lumière aveuglante et ce « blanc de Ripolin », comme l’écrivait Le Corbusier, qui, après la Seconde Guerre mondiale, va muter de valeur culturelle et esthétique en valeur touristique et économique. Ainsi, encore, Tel-Aviv, la « ville blanche », n’est-elle pas plutôt fille du mouve- ment moderne que méditerranéenne ? La plupart des architectes qui construisent sur le tracé de l’Écossais Patrick Geddes et son plan organique (1925‑1927) sont élèves des architectes allemands comme Mendelsohn (qui travailla lui-même en Palestine) ou du Bauhaus, d’autres de Le Corbusier, ou ont suivi les architectures des Italiens Terragni et Pagano. Ainsi, des architectes aussi divers que Joseph Neufeld et Carl Rubin, Arie Sharon, Shmuel Mistechkin, Sam Barkai et Shlomo Bernstein, Ze’ev Rechter, Dov Karmi, Genia Averbuch, Benjamin Anekstein ne cherchent pas forcément une « couleur locale méditerranéenne », mais plutôt l’expression de la modernité à travers l’introduction de l’architecture moderne occidentale. Le rêve blanc du mythe méditerranéen (Gambardella, 1989) se décline éga- lement autrement dans des situations extrêmes comme en Italie fasciste. Si l’on récuse la pertinence des termes « architecture fasciste » – l’architecture ne se réduit jamais en simple représentation d’un régime –, on doit pourtant parler de l’archi- tecture qui se développe durant une période donnée en Italie (de 1925 à 1945), sous le signe de la mediterraneità que le régime interprète autrement que « ses » architectes. Entre d’une part le classicisme revisité et dépouillé de Piacentini, et d’autre part le rationalisme et modernisme des Terragni, Pagano, Rustichelli, Peressutti, Rogers, Figini, Pollini et d’autres, il y a des différences notoires dans le traitement du rapport intérieur et extérieur, des matériaux, de la distribu- tion. Peut-être ce qui réunit surtout toutes ces œuvres – d’Italie ou d’ailleurs – est-il exprimé merveilleusement par la Villa Malaparte de Libera : à partir de la terrasse, la découverte de l’horizon. En effet, la présence de la Méditerranée dans toutes ces œuvres du rationalisme italien, qui existerait même sans le fas- cisme, c’est la terrasse, le balcon, l’ombre de l’auvent, le traitement des angles, le « patio » : bref, tout ce que condense l’œuvre majeure de Le Corbusier, la Villa Savoye à Poissy. Et si l’on regarde bien l’œuvre de l’architecte catalan Josep Lluís Sert, la même « confusion » (ou osmose ?) existe entre figures et clichés de l’archi­ tecture moderne et éléments de l’architecture méditerranéenne réinterprétés. Est-ce neutre qu’une bonne partie de tous ces architectes que l’on pense tou- chés de « méditerranéité » (comme on dit « touché par la grâce ») naviguent en août 1933 de Marseille au Pirée lors du IV e Congrès international de l’archi­ tecture moderne ( ciam ), celui-là même qui donnera naissance à la charte d’Athènes ? Sûrement pas. Mais ce qui réunit ces personnages, c’est, plutôt que la Méditerranée, la vision de l’architecture et de la ville modernes, d’autant plus que ce congrès aurait dû se tenir à Moscou. Non seulement le manifeste

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