Anthropologie | Bromberger, Christian

Anthropologie 93 Cabral [1989]…) critiquèrent de façon radicale l’érection de la Méditerranée en « regional category » en fustigeant le caractère artificiel de l’objet, créé, selon eux, pour objectiver la distance nécessaire à l’exercice légitime de la discipline et qui s’abriterait derrière quelques thèmes fédérateurs fortement stéréotypés. À ces cri- tiques virulentes venues des centres européens ou américains de l’anthropologie, se sont jointes celles d’ethnologues originaires des régions méditerranéennes, pour qui la référence à la Méditerranée est imaginaire et suspecte, et dont les travaux sont ignorés ou regardés de haut par les chercheurs formés à l’école bri- tannique. Ce sentiment négatif a été d’autant plus accusé sur les rives méridio- nale et orientale de la Méditerranée que la mer, qui naguère reliait, est devenue un fossé aussi bien sur le plan économique que politique. La tentation est alors de rattacher les études menées sur la rive nord à l’européanisme et celles menées sur les façades sud et est aux recherches sur le monde arabo-musulman. Diverses initiatives et prises de position scientifiques ont donné un nouvel élan, dans les années 1990‑2000, à l’anthropologie de la Méditerranée. Colloques et ouvrages (par exemple Albera, Blok, Bromberger, 2001) rendent compte de cette nouvelle conjoncture. On se garde désormais plus qu’avant de considérer le monde méditerranéen comme une aire culturelle qui présenterait, à travers le temps et l’espace, des caractéristiques communes stables. Au plus parlera-t‑on d’un « air de famille » entre les sociétés riveraines de la mer en raison de contextes écologiques similaires, d’une histoire partagée, de la reconnaissance d’un seul et même Dieu. Cette perspective mesurée rejoint le point de vue de Peregrine Horden et Nicholas Purcell (2000), auteurs d’un ouvrage important tirant un bilan critique de l’histoire du monde méditerranéen. Pour eux, qui combinent points de vue interactionniste et écologique, la Méditerranée se définit par la mise en relation par la mer de territoires extrêmement fragmentés, par une « connecti- vity » facilitée par les Empires. Le titre énigmatique de leur livre, The Corruptive Sea , « la mer corruptrice », prend dès lors tout son sens. Parce qu’elle met en relation, cette mer serait une menace pour le bon ordre social et pour la paix dans les familles. Cette proximité entre sociétés différentes qui se connaissent fait que le monde méditerranéen s’offre comme un terrain idéal au comparatisme « à bonne distance ». C’est sous le sceau de ce comparatisme raisonné que s’ins- crivent désormais les travaux les plus convaincants, qu’ils se réclament explici- tement ou non de l’anthropologie de la Méditerranée. Exemples parmi d’autres, les œuvres personnelles et souvent collectives récentes sur la nourriture (Fabre-­ Vassas, 1994), sur la parenté (Bonte, 1994), sur la sainteté (Kerrou, 1998) et les traditions religieuses, sur les migrations et les réseaux (Cesari, 2002), sur le cosmopolitisme (Driessen, 2005)… Christian Bromberger

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