Abraham

Abraham 33 et scellé encore de nos jours. Plus tard, la coexistence vola en éclats à la suite du massacre de 67 juifs par des musulmans en août 1929, en plein mandat britan- nique. Dès lors, tous les juifs d’Hébron furent évacués. De nos jours, le caveau des Patriarches cristallise toujours les tensions les plus vives du conflit israélo-palestinien. À la suite de la guerre des Six Jours en 1967, Hébron fut occupé par l’armée israélienne tandis que les premières colonies s’implantaient en périphérie, puis dans la vieille ville. Un autre pic de violence fut atteint en 1994 avec la tuerie de Palestiniens dans la mos- quée d’Abraham par un colon, Baruch Goldstein, qui était hostile aux accords d’Oslo. Aujourd’hui, la ville est découpée en zones, et le sanctuaire divisé en deux espaces articulés autour du cénotaphe d’Abraham : les juifs d’un côté et les musulmans de l’autre. Malgré ces clivages, la figure d’Abraham est aussi mobilisée comme trait d’union entre les trois religions du Livre. Au milieu du xx e siècle, plusieurs intellectuels catholiques et islamologues français (à l’instar de Louis Massignon, Henri Corbin, Roger Arnaldez, Youakim Moubarac) ont commencé à uti- liser l’expression de « religions abrahamiques » pour désigner le judaïsme, le christianisme et l’islam, au nom de l’ancêtre commun. On a même parlé d’« abrahamisme », mouvement de pensée qui préfigure le dialogue inter­ religieux qui se développera après le concile de Vatican II. Ardent représen- tant de ce courant, Louis Massignon (1883‑1962), professeur au Collège de France, a consacré sa vie à la réconciliation interreligieuse, notamment sous le signe d’Abraham. Si l’abrahamisme a été contesté depuis, il continue de se prolonger jusqu’à nos jours, par exemple avec le jésuite Paolo Dall’Oglio, dis- ciple de Massignon, qui a fondé en 1991 en Syrie une communauté monas- tique appelée al-Khalil en référence à Abraham et dont l’un des piliers est le dialogue islamo-chrétien. Signalons enfin l’initiative Abraham Path (« Chemin d’Abraham »), une sin- gulière entreprise née à l’université Harvard aux États-Unis dans les années 2000. William Ury, anthropologue américain et expert en négociation, a développé un chemin allant d’Urfa en Turquie jusqu’au caveau des Patriarches à Hébron, en passant par la Syrie et la Jordanie. Malgré les conflits géopolitiques qui l’en- travent, ce chemin se base sur l’hospitalité abrahamique (en lien avec l’épisode des trois hôtes de Mambré) pour promouvoir la paix et le dialogue. Parfois consi- déré comme le « petit frère des chemins de Compostelle », on peut y voir un itinéraire à vocation interculturelle, présenté comme apolitique et areligieux, mais qui repose cependant sur le capital symbolique du père des gens du Livre (ahl al-Kitâb) alors considéré comme le premier pèlerin. Matthias Morgenstern et Manoël Pénicaud

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