Paul Decaux : Le soldat, almanach pour 1901

- 92 - Le gouverneur ne voyait dans ce projet qu'une héroïque mais inutile imprudence, et adressa ces paroles à l'évêque : « Je vous remercie de tout mon cœur, au nom de l'armée; mais, monseigneur, croyez-moi : ces affaires-là ne se trai– tent point sous la volée du canon. Comment, d'ailleurs, tra– verser une foule de tribus inconnues, soulevées, frémissante:<, celle-ci courant aux armes, celle-là déjà aux prises avec nos éclaireurs?... C'est braver sans défense et sans fruit la mort embusquée au co in de chaque sentier, derrière chaque ru– cher, chaque arbre, chaque buisson!... Mon devoir me dé– fend une tentative dont je respecte l'inspiration, mais qui rn noierait, à trois lieues d'ici, dans une mare de sang. » Le refus était catégorique; toutefois, ce que l'évêque veut, Dieu le veut. Plus le gouverneur élevait d'obstacles, plus haut montaient les paroles du digne prélat. " Ma foi, monseigneur, reprit enfin Bugeaud en souriant, si Dieu s'en mêle, je bats la retraite. Comme général en chef, je ne puis rien iiermettre, mais comme chrétien, j'admire et... j e ferme les yeux. J> Le~ prètres d'Alger attendaient avec une vive impatience le retour de lear évêque et la décision miiitaire. Tous s'of– fraient à l'envi à cette chance de martyre. Mgr Dupucli ré– clamait pour lui-même le droit de marcher le premier. Ils Je retinrent à grand'peine, et le choix, à égalité tfardeur et de dévouement, se Gxa sur l'abbé Suchet. Au point du jour, le bréviaire sous le bras, muni µour !out bagage d'une lettre adressée à, l'émir el suivi d'un interprète indigène, l'abbé cheminait lestement, comme o'il e~t craint d'être poursuivi par un scrupule du g·ouvcrneur. Quand il eut dépassé uos derniers blockhaus ( fortins en bois des gardes avancées), il respira plus à l'aise. La soli– tude immense des horizons mourants lui sembla pleine de Dieu. Au coin de chaque sentier, dcnière cuaqu~ rocher, http://e-mediatheque.mmsh.univ-aix.fr Corpus | Trésor de la médiathèque

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