Paul Decaux : Le soldat, almanach pour 1901

- 58 - du [ervice des avant-postes. La douceur de la température après cette chaude journée, la beauté magique d'un ciel sans nuage où brillaient, avec un éclat inconnu sous nos latitudes, des milliers d'étoiles, la lassitude de son être après la fatigue du jour, tout le portait à la rêverie. Il s'était assis au pied d'un de ces vieux cèdres comme .i! en pousse dans la montagne et il songeait à sa vie d'aventures depuis deux ans, à son village et aux siens dont il ne recevait plus de nouvelles depuis qu'on avait pénétré dans Je sud; mais insen– siblement sa pensée Je ra menait à son ami Gaillot. Qu'avait– il depuis quelques jour~? Son caractèreparaissaitaigri. Tou– ,iours de méchante humeur, non content de maugréer contre ses hommes, if murmurait maintenant contre ~es chefs; il était sombre, délaissait son vieil ami d'enfance, et à la fran– che gaieté qui régnait dans leur camaraderie s'était substi– tuée une sorte de froideur et comme un état d'hostilité. Tout à l'heure quand il l'avait quitté en lui communiquant les instructions du capitaine, ne lui avait-il pas répondu d'un ton rogue qu'il savait ce qu'il avait à faire. Était-ce au climat ou à la fatigue qu'il fallait attribuer ce brusqu e chan– gement d'humeur? Soudain, un bruit imperceptible dans le sentier voisin... et à vingt mètres apparait une · ombre se glissant entre les arbres. !\fais, si faiblement éclairée qu'elle soit par les rayons de la June, Cordelet l'a reconnue el, s'élançant au travers du chemin : « Ah ça! Gaillot, s'écrie-t-il, que fais-tu là à celte heure? Ne devrais-tu pas être à six cents mètres d'ici, au pètit poste dont tu as la garde? » El comme l'autre reEtait muet de surprise. « Mais r éponds donc ... car enfin, à cette heure, si près des sentinelles .. . la direction que tu prends... le silence de ta démarche... ces sandales dont tu es chaussé, tout cela me jette en l'esprit un soupçon terrible! http://e-mediatheque.mmsh.univ-aix.fr Corpus | Trésor de la médiathèque