Paul Decaux : Le soldat, almanach pour 1901

-2-l,- daus l'eau pleine de glaçons. Le lendemain le pont était prêt. L'armée put passer; mais, pressée par l'ennemi, bousculée sur un pont trop étroit, il en périt une grande partie, qni fut précipitée dans le fleuve. I1 y avait dans une des compagnies du maréchal Ney un soldat remarquable par son air exlrêmement jeune, pres– que enfant, par sa figure douce et ses trails fins. Il avait dix-neuf ans à peine. C'était un de ces numbreux fils du sol de France que la conscription avait arrachés à leur famille et à leur village pour les jeter dans Je3 rangs de la grande armée. Il reprP.sentait, avec ses compagnons du même âge, le dernier effort de la France. li était du Limou– sin, troisième fils d'une pauvre famille de cullivaleurs, dont les deux aînés étaient déjà morts dans les guerres de l'Em– pire. Avec qnelle angoisse sa pauvre mère l'avait quitté, sùre d'avance que le mauva;~ génie des batailles lui ravirait aussi celui-là. Et cependant voilà un an qu'il était parti; il avait tra– versé toute l'Europe, pris part à toutes les batailles si 5anglantes livrées dès l'entrée des troupes françaises en Hussie et il n'avait pas reçu une égratignure! Il était trop pieux pour croire que celte cbance tînt seulement au hasard. Il l'allribuait dans sa foi profonde à l'intervention de la Vierge. Sa mère lui avait attaché une médaille au cou avant de partir, et elle l'avait conduit elle-même au sanctuaire de Nolre-Dame d'Arliquet, si vénéré dans tout le Limousin. Chaque jour le soldat adressait une invocation à Notre-Dame et haisait sa sainte image. Lorsqu'eut lieu le passage de la Bérésina, la compagnie de notre pelit fantassin se trouvait un peu à l'écart du pont. Ordre fut donné aux hommes de se diviser er1 deux groupes: ceux qui préféraient passer par le pont, ceux qui voudraient tenter de traverser par une sorte de gué où il suffisait de http://e-mediatheque.mmsh.univ-aix.fr Corpus | Trésor de la médiathèque

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=