Léon Chaudanson : Scènes de la vie marocaine

L'achat du mouton « mbarek » Combien as-tu acheté « mbarek» ? béni, telle est la question à laquelle doit répondre bien souvent l'acheteur heureux du mouton de la fête. Après avoir vanté les qualités de la bêle achetée, l'interlocuteur repart sans oublier de formuler le souhait traditionnel « moubruk ou messaoud ! » c'est-à-dire « qu'il soit une source de bénédiction el de bonheur ! ». Le mouton est amené du marché à la maison par un conducteur rétribué qui a généralement fort à faire pour niaitriser le mouton apeuré. Souk el haouèla (marché aux moutons) Luc quinzaine de jours avant la fête, un marché spécial se tient dans les environs de la ville el chacun vient y choisir un ou plusieurs beaux moutons (mbarek : béni). Les bêtes du Tadla sont recherchées. On y trouve quelques moulons à 4 cornes (2 grandes recourbées el 2 peliles droites) que l'on appelle « sultans des moutons ». Ij?. souk el haouèla est un lieu très vivant où s'opèrent de grosses transactions. Des tentes sont dressées dans le voisinage par des gargo [gargotier]. des cafetiers, des marchands de gâteaux et de boissons. I n ou plusieurs porteurs d ’ eau circulent aussi parmi la foule. De jeunes indigènes débrouillards offrent leurs services pour conduire les moutons achetés chez leurs nouveaux propriétaires comptant sur une généreuse rétribution. L'aiguiseur Pour lui, I' Aid el Kèbir est une aubaine. Chaque famille lui apporte ses couteaux el couperets à aiguiser enveloppés dans un mouchoir pour reconnaître son bien. L ’ installation est sommaire : une meule montée sur deux moulants parallèles (pie l ’ on appuiera au mur, un couffin pour recevoir la recel le et les chiffons d'essuyage, un petit seau contenant l ’ eau qui servira à mouiller la meule et nettoyer les couteaux. Une tente rudimentaire abritera du soleil le cas échéant. De nombreux artisans s'improvisent aiguiseurs à l ’ occasion de la fête. Le sacrifice Il a lieu généralement dans la cuisine ou, si celle-ci est exiguë, dans la cour intérieure près du merja (bouche d ’ égout) où l'on a soin de répandre un peu de sel pour éloigner les «jnoun ». Le sacrificateur a toujours soin de prononcer la formule « au nom de Dieu, le plus grand » et de mentionner au nom de qui la bête est égorgée. Très souvent un peu de sang de la bêle est mis de côté: on [tue] un augure. Le jour de la fête on égorge la bête et on la dépouille. Sa toison est levée el tannée. Les intestins sont utilisés pour la fabrication des « boubanitas » (genre de saucisses) qui sont distribués aux pauvres. Rien ne doit être perdu le 1 er jour on mange le foie en brochette et la viande de cou consommée el salée et conservée. Dbiha diel el gadhi (mouton égorgé par le cadi) Le mouton égorgé par le cadi est un beau mouton serdi (à la tête couleur marron avec des étoiles blanches au front et autour des yeux), il est sacrifié à la msalla (lieu de prières champêtre) de la ville ; il est aussitôt transporté le plus rapidement possible à la maison du cadi où il est de bon augure qu'il arrive encore vivant. Le cavalier qui s ’ est acquitté de celle lâche reçoit une ksoua (complet de rechange) en récompense ainsi qu'une certaine somme. Un service de police est organisé pour permettre de réaliser un record de vitesse sur le trajet à parcourir. Autrefois, on se contentait de faire précéder le cortège d ’ un cavalier porteur d ’ un petit linge blanc teinté du sang de la bête sacrifiée. Tout le monde savait ainsi qu ’ il fallait laisser la voie libre. Le sacrifice n ’ a lieu, dans chaque famille qu ’ après l ’ annonce, par le canon, du sacrifice à la msalla. A Rabat, S.M. le Sultan sacrifie le premier mouton et le cadi de la ville le deuxième. La viande de bêtes sacrifiées est distribuée aux pauvres de la ville, le dessin ci-dessus représente le passage du cortège. Le forgeron Il voit son travail décupler à l'approche de la fête. Il façonne en série : couteaux, couperets, pincettes et surtout beaucoup de brochettes. Il livre ces dernières plus ou moins ouvragées en plusieurs modèles dont les prix à l ’ unité varient de 0.10 à 0.25 les 2. Il vend en bloc une partie de sa fabrication à un revendeur mais il fait aussi circuler ses propres apprentis en ville pour la vente directe aux particuliers. Enfin, il ne néglige pas de faire un étalage des produits de sa fabrication devant sa boutique. L ’ Aïd el Kebirest un peu la fête des forgerons et des aiguiseurs. O CT

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