Waqf | Deguilhem, Randi

Waqf 1558 waqf se matérialise dans le domaine du choix du bénéficiaire de son waqf : choisit-il quelqu’un de sa famille proche ou étendue, de son entourage profes- sionnel comme un collègue de son corps de métier ou bien d’un milieu poli- tique qui pourrait en retour lui faire part d’une largesse, etc. ? Créer un waqf signifie aussi avoir le pouvoir d’agir à l’égard de la volonté de protéger ses propriétés d’une dispersion certaine au moment de la distribution de l’héritage, à la suite du décès d’un individu. Lorsqu’on établit un waqf , on évite cette dispersion de propriété parmi ses héritiers dans la mesure où le fonda- teur du waqf désigne telle ou telle de ses propriétés comme avoirs de son waqf . Il l’a fait lors de son vivant : la chose est immédiatement effective et reste ainsi, sans modification, après le décès de l’individu qui a créé le waqf , laissant ainsi son empreinte dans la société (Deguilhem, 1995). Le pouvoir socio-politique d’un individu articulé par son waqf dans les communautés musulmanes, chrétiennes et juives de la Méditerranée tradition- nelle s’exprime pour les individus de tous les niveaux socio-économiques : ceux et celles qui ne disposent que de moyens modiques (dans ce cas, ils créent des waqf -s seulement sur la base d’un petit jardin potager ou d’une pièce dans un bâtiment) jusqu’aux très grands propriétaires qui établissent des waqf -s avec des avoirs à très grande échelle en y mettant des dizaines de boutiques, voire un souk entier, un dépôt de marchandises (khân) , de grands vergers. Chacun à son niveau : établir un waqf mobilise les revenus de ses propriétés pour soutenir ins- titutionnellement le bénéficiaire de son choix et pour immobiliser l’éventualité d’une vente de son patrimoine. État de l’art La première rencontre européenne moderne avec le système du waqf (n’ou- blions pas celle entre les populations musulmanes et les envahisseurs européens à l’époque des croisades, qui donna lieu à des acculturations civilisationnelles : Verbit, 2002) se déroule avec la conquête française d’Alger en 1830. Elle a immé- diatement entraîné des études approfondies encore utilisées aujourd’hui par des universitaires de toutes nationalités. En prenant le contrôle administratif de la ville d’Alger et d’autres régions algériennes sur la côte ainsi qu’à l’intérieur, la France se trouve face à une très grande quantité de biens immobiliers et agri- coles détenus par les waqf -s. Autrement dit, le pouvoir colonial est devant une grande somme de biens fonciers qui sont a priori hors du circuit du marché immobilier et donc théoriquement hors de portée du projet colonial. Propriétés invendables, celles appartenant aux waqf -s appelés biens de « mainmorte » par les administrateurs coloniaux, par analogie aux biens possédés par les instances

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