Voyage | Bertrand, Gilles

Voyage 1548 universelle de Paris que visitent avec un grand souci de précision les person- nages du romancier al-Muwaylihî, Égyptien lui aussi, dans Ce que conta Isâ Ibn Hishâm (1907). Mais la Méditerranée est-elle pour autant demeurée un filtre, un simple lieu de passage vers des ailleurs ? Du voyage en Orient au désir de la Méditerranée Au xix e siècle, la rage de voyages des élites européennes pourrait avoir accordé à la Méditerranée un statut nouveau, justifiant à propos des Anglais le titre de l’ou- vrage de John Pemble, Mediterranean Passion . Cet appel du Sud a correspondu à un état d’esprit de l’époque victorienne, et il a permis à la Méditerranée de deve- nir une destination en soi, échappant à sa seule fonction d’espace intermédiaire entre l’Europe et la Turquie ou la Perse, le Levant, l’Égypte ou le Maghreb. À la faveur des expéditions scientifiques qui se succédèrent en Égypte (1798‑1801), en Morée (1829‑1831) et en Algérie (1839‑1842), un monde pensé comme « méditerranéen » se dessina avec ses paysages et ses manières de vivre. Peut-­ être est-ce à ce moment-là que les croisières modernes ont commencé à prendre forme. Un couple français, M. et Mme Mercier-Thoinnet, introduisit dans un chapitre de ses souvenirs de voyage en Italie parus en 1838 le récit d’un « Voyage sur l’Adriatique » à bord d’un modeste « brick de 150 tonneaux » qui en préfi- gure la pratique. Dans Innocents Abroad (1869), Mark Twain relate son périple de six mois en 1867 comme passager du Quaker City , le navire qui en se rendant vers l’Égypte et la Grèce effectua la première grande croisière organisée à partir des États-Unis. Des bateaux à vapeur menèrent d’importants groupes de pèle- rins à Jérusalem dans les dernières décennies du xix e siècle à l’instigation d’insti- tutions religieuses ou de l’agence Cook. De leur côté, les îles de la Méditerranée se prêtent à des descriptions pittoresques qui rompent avec la vocation encyclo- pédique et « statistique » qu’avaient, par exemple, eue au siècle précédent celles de Bellin, de Pierre Barral, de l’abbé Gaudin ou de Volney sur la Corse. Du Voyage que Grasset de Saint-Sauveur définit en 1800 comme « historique, litté- raire et pittoresque » dans les anciennes îles et possessions vénitiennes du Levant à La Méditerranée, ses îles et ses bords de Louis Énault en 1863, en passant par les publications d’Audot ou de Giraudeau au milieu des années 1830, on voit se dessiner un engouement pour les îles méditerranéennes. Grandes ou petites, mythiques comme celle de Calypso au large de Malte ou bien réelles, elles sont progressivement intégrées, dans le sillage des expéditions de Bonaparte, au sein des parcours des voyageurs. Un attrait thérapeutique avait, dès le xviii e siècle, incité les Anglais à transfor- mer la Côte d’Azur et celle de Sorrente en lieux de villégiature propres à guérir

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