Virginité | Knibiehler, Yvonne

Virginité 1529 qu’elles communiquent avec des interlocuteurs célestes. Les deux plus célèbres, Catherine de Sienne (1347‑1380) et Thérèse d’Avila (1515‑1582), ont été non seulement canonisées, mais proclamées docteurs de l’Église. D’un autre côté, il est vrai, bien des filles entrent en religion sous contrainte, parce que leurs parents renoncent à les doter et à les marier : le couvent est un refuge digne et sûr. La virginité consacrée fonctionne là comme un régulateur démographique. Pendant ce temps, sur les rives orientale et méridionale de la Méditerranée, l’islam s’est installé. Pour les musulmans aussi, la virginité d’une fille est de grande valeur, mais dans la seule perspective du mariage. Selon les théologiens, de même que la circoncision permet la transformation d’un garçon en homme et le rend digne de devenir père, de même la défloration, en légitime mariage, permet la transformation d’une fille en femme, et la rend digne de devenir mère. Pour les deux sexes, le rite veut que le sang coule et que les corps soient mar- qués : ils sont ainsi associés à l’œuvre divine. Le sang de la défloration, exhibé sur des linges, honore les deux familles : du côté de la mariée, la mère, éduca- trice irréprochable, a su transmettre à sa fille les principes et les valeurs de la communauté ; le père et les frères ont assumé leur devoir de protection contre la séduction et le viol, et contre les tentations de l’inceste ; quant au marié, il a fait la preuve de sa puissance virile. La préservation des filles à marier est assu- rée par une rigoureuse ségrégation entre le monde des hommes et le monde des femmes. L’individu ne compte qu’au service de la famille et de la communauté. En milieu populaire, aussi bien chez les musulmans que chez les chrétiens et les juifs, l’existence de la membrane que nous appelons hymen n’est guère mise en doute : de nombreuses recettes circulent, des deux côtés de la Méditerranée, permettant de rapiécer un « pucelage » endommagé. Les médecins, pour leur part, restent divisés. Après la Réforme, une controverse oppose l’anatomiste fla- mand André Vésale, qui est pour l’hymen, au chirurgien Ambroise Paré, qui est contre . Le débat ne prend fin qu’au début du xix e siècle. Dans l’article « Hymen » du Dictionnaire des sciences médicales (Panckoucke, 67 vol., 1812‑1822), le natu- raliste Georges Cuvier publie une mise au point nuancée qui s’impose définitivement. La virginité féminine est alors réduite à sa dimension anato- mique : désacralisée, naturalisée, le rationalisme des Lumières la prive de toute transcendance. En conséquence, l’éducation des filles connaît bientôt une régres- sion pitoyable. Aux âges chrétiens, les filles à marier connaissaient en gros leur propre corps (la masturbation n’était pas réprimée) ; le sacrement de pénitence exigeait un examen de conscience qui les aidait à identifier certaines tenta- tions ; elles se gardaient elles-mêmes, en toute lucidité. À partir des Lumières, au lieu de leur enseigner la pudeur, on leur impose l’« innocence », c’est-à-dire en fait une ignorance totale des choses du sexe : alors même qu’on les destine à fonder une famille, on leur tait les réalités du mariage et de l’enfantement.

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=