Virginité | Knibiehler, Yvonne

Virginité 1528 Le culte de la Vierge Marie ne s’est imposé que lentement. Certes, la piété populaire a développé, dès la fin du i er siècle, une mythologie luxuriante, qui s’exprime à travers les Évangiles dits apocryphes, mais elle concerne surtout la Mère du Sauveur. La doctrine savante s’est élaborée ensuite sous la pression des hérésies. Choisie pour porter et mettre au monde le Fils de Dieu, cette humble fille juive devait être exonérée de toutes les « souillures » de son sexe. Le concile de Chalcédoine (451) a établi sa triple virginité : avant, après, et même pen- dant l’accouchement. Rappelons le geste de Salomé : cette sage-femme incré- dule a vérifié avec son doigt la virginité de Marie après la naissance ; sa main impie s’est desséchée. Cette intervention nous rappelle que les sages-femmes disposaient alors d’une compétence reconnue : en milieu populaire, leur parole passait avant celle des médecins. L’examen de Salomé confirme l’existence de la membrane que nous appelons hymen. Lié au mystère de l’Incarnation, le « sceau de la pudeur » est désormais sacré ; la science médicale aura beau faire, elle n’abolira pas cette conviction populaire : le « voile de la mariée » protège la virginité féminine ; il atteste la pureté et la sainteté de Marie. Après hésita- tion, les Pères ont confirmé. Augustin (354‑430) présente la naissance de Jésus en parallèle avec sa résurrection : le Fils de Dieu sait franchir toutes les portes closes. La conception de Marie elle-même est déclarée « immaculée » : ses parents, Anne et Joachim, l’ont conçue sans concupiscence. Le culte de Notre Dame, qui connaît une forte expansion à partir du xii e siècle, s’adresse d’abord à son rôle maternel. C’est surtout à partir du xvi e siècle que sa virginité est mise en valeur. Au concile de Trente (1545‑1563), l’Église romaine, pour réagir contre les prises de position des protestants, réaffirme avec force la supériorité du célibat et de la chasteté par rapport au mariage. La virginité de Marie sert de caution au célibat des prêtres. L’art baroque délaisse les représentations de l’Annonciation et même celles de la Vierge à l’Enfant, naguère si populaires ; il préfère l’image de l’Immaculée Conception, où Marie est seule, dissociée de son fils, plus Vierge que Mère, Reine du Ciel. L’Église, qui se dit désormais catho- lique, maintient son emprise sur l’Europe du Sud, méditerranéenne, alors que l’Europe du Nord lui échappe. La glorification de la virginité connaît un apogée durant les siècles chrétiens de l’Ancien Régime. Du xii e à la fin du xvii e siècle, la mystique chrétienne est illustrée par de grandes saintes, universellement reconnues comme médiatrices avec l’au-delà. Elles vivent une foi rayonnante, des expériences ineffables, et leur corps participe à l’expression de leur piété. Elles ont produit des textes érotiques superbes, comparables au Cantique des cantiques. Douées d’une assurance sou- veraine, elles osent parler, prêcher, discuter avec les théologiens les plus savants ; elles écrivent ou dictent à profusion : des poèmes lyriques, des lettres aux rois et aux prélats, des traités érudits, des plaidoyers passionnés. Personne ne doute

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