Utopie méditerranéenne | Bromberger, Christian

Utopie méditerranéenne 1505 Cette image d’une Méditerranée harmonieuse bute sur les réalités d’une his- toire conflictuelle, celle des croisades, des invasions, des colonisations, durcie au xx e siècle par les nationalismes intransigeants et par les raidissements ethno-­ religieux. À la Méditerranée de l’ eros Jacques Berque oppose celle, plus familière et dramatique, de l’ eris (la haine), cette Méditerranée des villes et des territoires brisés par les allégeances confessionnelles, comme aujourd’hui au Proche-Orient et dans les Balkans, où la rivalité ostentatoire peut vite se transformer en « haine monumentale », où l’on s’acharne à souiller ou à détruire les édifices religieux et le patrimoine de l’autre, comme l’a montré François Chaslin (1997) pour l’ex-Yougoslavie. C’est la Méditerranée des murs dressés et des ponts détruits, tel celui de Mostar en Bosnie, le pont, qui peut relier mais dont l’anéantissement signe ostensiblement la séparation, étant précisément un thème fréquent dans la littérature des Balkans, d’Ivo Andrić (Le Pont sur la Drina) à Ismaïl Kadaré (Le Pont aux trois arches) . C’est cette confrontation agressive, avivée par le conflit israélo-arabe, qui a repris le dessus depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Lac intérieur, à ses meilleurs moments « lac de sens », disait Jacques Berque (1997, p. 16), la Méditerranée s’apparente plutôt aujourd’hui à une frontière de la peur qui sépare et est devenue, en outre, une sorte de cordon sanitaire, un barrage naturel inespéré pour refouler les pauvres. En dépit ou en raison de ce contexte, plusieurs initiatives ont été prises par des institutions pour remédier aux incompréhensions et rétablir un climat de confiance : le « dialogue euro-­ arabe » dans les années 1970, le partenariat euro-méditerranéen issu du proces- sus de Barcelone (1995) dont le troisième volet (« Partenariat dans les domaines social, culturel et humain ») vise à « favoriser la compréhension entre les cultures et les échanges entre les sociétés civiles », le « dialogue méditerranéen » soutenu par l’Otan et par l’Union européenne, le programme Méditerranée de l’Unesco qui a pour objectif de « promouvoir la Méditerranée comme un espace éco-­ culturel », l’accord de coopération de cette même organisation internationale avec la Commission européenne, accord dont le but est la sauvegarde de l’héritage cultu- rel, « la réduction des stéréotypes et la réconciliation des identités ». Pour relancer le processus de Barcelone, une Fondation Anna Lindh a été créée en 2005 ; elle est basée à la bibliothèque d’Alexandrie, autre symbole du « rêve méditerranéen ». Mais, quelles qu’aient été ces initiatives, le processus de Barcelone n’a pas eu les effets attendus. Pour lui redonner vigueur et pour contrebalancer son opposition à l’entrée de la Turquie dans l’Union européenne, le président français Nicolas Sarkozy a proposé la création d’une Union de la Méditerranée, transformée à la demande de l’Allemagne en Union pour la Méditerranée (2008) dont le siège est à Barcelone. Toutes ces initiatives témoignent des obstacles qui subsistent, le conflit israélo-palestinien n’étant pas le moindre, sur le chemin d’une « fra- ternité méditerranéenne ».

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