Terrasses | Lazarev, Grigori

Terrasses 1446 fruitiers et que les aménagements en terrasses les auraient empêchés de tourner leurs araires tirés par deux bœufs. Mais il ne trouvait pas de réponses pour justi- fier leur absence dans les reliefs telliens d’Algérie et de Tunisie, jadis occupés par les Romains, ainsi que dans les reliefs collinaires du Maroc. J. Despois, dans un article sur la Sardaigne (1961), où il constatait leur absence, nous donne cepen- dant une autre clé, celle de la prédominance économique du pastoralisme sur l’agriculture sédentaire. Ce constat ne pourrait-il pas s’appliquer à une grande partie de l’Afrique du Nord ? Depuis la fin de la romanité, les régions telliennes ou les reliefs similaires au Maroc ont été surtout occupés par des tribus d’éco- nomie pastorale, une situation accentuée par l’arrivée des populations arabes, hilaliennes ou maqiliennes. L’économie pastorale n’associe l’agriculture à l’éle- vage que sur la base d’une mobilité saisonnière des populations. Les champs sont semés et on ne replante la tente près du champ qu’au moment de la récolte. Cette économie est incompatible avec l’édification d’un terroir aménagé dans la durée. Jacques Berque (1955) notait que les sédentaires épierraient leurs champs de façon centripète (pierres sur la périphérie du champ), alors que les populations pastorales pratiquaient un épierrage centrifuge, laissant les pierres en tas au milieu du champ. Le même constat explique probablement l’absence de terrasses (et de terroirs aménagés) dans les sierras du centre de l’Espagne où a longtemps prévalu une économie pastorale, dont les amples cycles condui- saient les troupeaux du nord au sud de la meseta . Ces mouvements étaient ceux de la mesta , si bien décrits par Fernand Braudel. Même constat pour l’Anatolie dont les reliefs ne portent qu’une agriculture sans terrasses. L’économie agraire semble y être durablement restée l’héritière de la culture pastorale des conqué- rants venus de l’Asie centrale. Ces interrogations sur les terrasses nous renvoient au constat des deux Méditerranées de l’usage agraire de l’espace. Celle, dans la plus grande partie de la Méditerranée septentrionale et de sa façade orientale, qui a hérité des agri­ cultures néolithiques et dont la culture sédentaire et villageoise était suffisam- ment forte pour assimiler des envahisseurs de culture pastorale (que l’on songe aux pasteurs doriens en Grèce ou aux Italiotes qui se sont fondus avec les popu- lations autochtones). Dans l’autre Méditerranée, celle du Maghreb, de l’Ana- tolie, des marges arides du Machrek, l’écologie favorisait le pastoralisme aux dépens de l’agriculture sédentaire. Celle-ci ne fut jamais assez forte pour s’im- poser à une économie pastorale, dévoreuse d’espace et mieux adaptée aux condi- tions de la semi-aridité. L’absence de terrasses dans le Rif et la Kabylie, qui avait frappé Despois, pourrait, par contre, s’expliquer aussi par la généralité de la culture sur brûlis – disparue au xix e siècle en Kabylie mais encore présente dans le Rif à la fin des années 1950 – qui permettait la culture des versants et une bonne conservation des sols grâce à un retour de plusieurs années à la végétation

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