Tauromachie | Saumade, Frédéric

Tauromachie 1427 s’imposait, du temps de l’artiste, sur le plan national, contre les particularismes régionaux du jeu d’arènes. En Aragon, comme dans la voisine Navarre, plu- tôt que d’être les protagonistes d’une représentation tragique autour de la mise à mort, les toreros apparaissaient comme d’agiles acrobates animant un spectacle fait de courses, de sauts périlleux et d’autres exploits farfelus où éclatait leur verve carnavalesque. Dans les traditions navarro-aragonaises de tauromachie, la mise à mort n’avait pas la même importance qu’en Andalousie (Guillaume-Alonso, 1994). Goya, qui tira aussi nombre de sujets d’inspiration dans le tumulte du carnaval populaire, donna de la tradition taurine de sa région un témoignage saisissant : évoquant les confrontations, alors classiques à Madrid, entre les tore- ros du Nord et ceux du Sud de l’Espagne, sa Tauromaquia mettait en opposition la joyeuse folie des premiers et la plasticité chorégraphique des seconds. Cette recherche esthétique des Andalous s’épanchait dans un dramatisme tournant au pathétique, exprimé avec force par la gravure représentant la mort sur le sable du matador sévillan Pepe Illo, salement encorné par son adversaire. La dualité de Goya – à la fois peintre de la cour d’Espagne et Aragonais – était-elle à même d’expliquer ses contradictions à l’égard d’un spectacle d’arène qui faisait déjà l’objet de polémiques pluriséculaires ? Toujours est-il que deux cents ans plus tard, à l’occasion du débat parlementaire qui a conduit, en 2012, à l’interdiction de la corrida sur le sol de la communauté autonome de Catalogne, la dualité des Espagnols, partagés entre leur appartenance à la modernité « glo- bale » et un sentiment identitaire régionaliste très fort, s’est à nouveau manifes- tée en termes tauromachiques. En effet, alors que les députés écologistes, proches du mouvement international des protecteurs des animaux, souhaitaient une interdiction totale des jeux taurins, leurs collègues du parti régionaliste catalan, Convergència i Unió, soumirent leur vote à la condition de limiter la mesure prohibitive à la corrida d’origine andalouse et de ne pas l’étendre au correbous , forme populaire régionale de course de taureaux sans mise à mort, dont ils affir- mèrent alors qu’il s’agissait d’un patrimoine culturel à protéger. Cette discorde entre des politiciens qui ont quand même fini par s’entendre sur une mesure de prohibition a minima (puisqu’elle ne touche pas le correbous ) indique toute la relativité de la posture antitaurine en Espagne. Pour apprécier une telle relativité, un petit détour historique est nécessaire. En 1567, le pape Pie V, avec la bulle De salute gregis dominici , condamna à mort et l’excommunication tout chrétien qui s’adonnait au combat de taureau. Sa motivation, purement théologique, ne tenait nullement à une sensibilité « ani- malitaire » qui n’avait pas cours à l’époque, mais bien plutôt au souci de sauver les âmes humaines en proie aux désordres d’une passion populaire excessive- ment violente. Cette bulle ne fut jamais vraiment appliquée en Espagne, et sous la pression de Philippe II, qui défendait la tradition nobiliaire des corridas

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