Tauromachie | Saumade, Frédéric

Tauromachie 1426 depuis le xviii e siècle, à donner des lettres, une esthétique et un sens mystique à un art du spectacle d’origine populaire, dont la violence heurte la sensibilité moderne et qu’il s’agit pour cela de justifier dans un débat qui n’a pas fini de faire couler de l’encre. C’est ici, et non dans une interprétation sacrificielle plus ou moins fumeuse, où la preuve tient plus à une croyance subjective qu’à des faits irréfutables, que la question de la mise à mort prend toute son acuité. Tuer en public est, dans un contexte moderne, à la fois la négation et l’affirmation la plus absolue du spectacle, un épanchement sanglant que l’on ne devrait pas montrer pour la récréation d’une foule « civilisée » mais dont le caractère sensationnel est pourtant le principe même de l’attraction médiatique, ainsi que le prouvent les débordements quotidiens de la presse et du cinématographe. Le scandale de la corrida tient à cet insoutenable paradoxe revenant à présenter le signe spec- taculaire le plus fort qui soit, le sang, sous sa forme réelle et tangible, non fil- trée par les écrans de l’artifice, à partir de la transformation d’un artisanat sans grâce, ordinairement caché aux yeux du public, celui des vachers et des tueurs des abattoirs, en un spectacle de lumières. La polémique antitaurine face à la complexité de la culture tauromachique Par la tauromachie, l’Espagne révèle ses contradictions : si le Parlement cen- tral de Madrid a entamé en 2013 une procédure pour conférer à la corrida le label de Bien d’intérêt culturel, cette démarche politique est venue répondre à la prohibition du spectacle par le Parlement de Catalogne en 2012. Associée aux jours sombres du franquisme, dont la propagande utilisa abondamment l’image, la tauromachie n’est plus en Espagne un vecteur consensuel de l’iden- tité ; elle est devenue, comme ailleurs en Occident, l’objet d’une polémique d’ir- réconciliables. Ou bien plutôt, sous la façade unitaire que le franquisme voulait donner de l’Espagne, et dont le torero était le parangon, est apparue toute la complexité d’une nation divisée, comme toutes les nations modernes, par un dilemme typique de l’élite bourgeoise, entre souci de la conservation du patri- moine et téléologie réformatrice. Goya avait lui-même incarné cette déchirure de l’unité nationale en illustrant par les planches gravées de sa Tauromaquia l’ouvrage antitaurin de José Vargas Ponce, Disertación sobre las corridas de toros (1807). Outre le caractère tortueux du génial peintre, l’ambiguïté ainsi affichée par l’auteur des portraits des frères Romero tenait aussi à ses origines régionales. Car la tradition tauromachique de l’Aragon, où naquit Goya, était très différente de celle de l’Andalousie qui

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