Taha Hussein | Deheuvels, Luc-Willy

Taha Hussein 1419 dessiné largement dans les perspectives d’une identité de civilisation partagée de part et d’autre de la Méditerranée depuis l’Antiquité. Plus qu’un constat, cette affirmation s’offre comme un projet, celui d’une culture à bâtir dans l’avenir, celui d’une communauté de valeurs à affirmer, et d’un humanisme à conquérir. Outre ses ouvrages de critique et ses essais, Taha Hussein a publié des œuvres de fiction, en une langue au phrasé très particulier, fait de longues périodes à la musicalité envoûtante, et d’une pureté d’autant plus saisissante que les textes en sont dictés d’un seul jet, pour ne plus être repris. Du’â’ al-Karawân (L’Appel du courlis) en 1934 et Chajarat al-Bu’s (L’Arbre de misère) en 1944 installent des destins de femmes en prise à la tyrannie meurtrière de la tradition. Adîb (1935) présente le naufrage dans la folie d’un Égyptien parti en France ; son histoire est observée et racontée par un compatriote dont Taha Hussein reconnaît lui-­ même qu’il lui a donné « beaucoup de sa vie personnelle ». Un recueil de nou- velles, al-Mu’adhdhabûna fi-l-ard (Les Damnés de la Terre) , qui dénonce la misère noire du peuple égyptien et son dénuement insoutenable en comparaison du luxe réservé à une minorité peu sensible aux souffrances des autres, publié une pre- mière fois à Beyrouth en 1949, ne fut autorisé à paraître en Égypte qu’en 1952, après la Révolution : l’Égypte, suivie par tout le monde arabe, reconnaît alors en celui qu’on surnommait désormais ‘Amîd al-adab al-‘arabî (le Doyen des lettres arabes) plus qu’un homme ou un talent ; elle voit en lui presque un symbole, le signe incarné d’une culture arabe s’inscrivant dans une modernité universelle. L’œuvre de Taha Hussein la plus forte et la plus touchante est sans conteste al-Ayyâm (Le Livre des jours) , dont les deux premiers tomes paraissent respecti- vement en 1929 et 1939, le troisième en 1955. Ce livre dont la première partie a été dictée en 1926, au plus fort de la crise provoquée par la parution de son livre sur la poésie antéislamique, ouvrit la littérature arabe à l’autobiographie littéraire, et y consacre en même temps l’avènement de l’écriture romanesque. Cet étrange paradoxe tient à la structure profondément originale d’un texte presque entièrement rédigé à la troisième personne, reproduisant par touches successives l’itinéraire intellectuel de l’auteur, depuis son enfance jusqu’en 1926, le temps du récit rejoignant celui du début de l’écriture. En fait, Taha Hussein y évoque toutes les étapes de l’apprentissage, depuis l’école coranique du vil- lage jusqu’à al-Azhar et l’Université égyptienne (dont la description est si pré- cise qu’elle prend valeur socio-historique), enfin le voyage et le séjour en France, puis le retour en Égypte, le tout s’achevant juste avant l’éclatement de la crise qui était à l’origine du début de la rédaction. C’est cependant autour « d’un triomphe de la volonté, d’une patiente victoire de la lumière spirituelle sur les ténèbres » (André Gide) que se centre cette œuvre à la langue inimitable. L’autoportrait constitué se double d’un regard critique sur le monde environ- nant et les pesantes traditions. Un cheminement modèle s’en dégage, offert à la

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