Sirène | Bortolotto, Chiara

Sirène 1394 Cet événement est toutefois souvent considéré comme un présage néfaste. Ainsi, au Maroc comme dans les pays de l’Europe du Nord, l’apparition des sirènes annonce la tempête. La croyance dans leur existence est bien attestée dans le monde arabe. D’éminents juristes musulmans se sont interrogés sur la licéité de se nourrir de sirènes sans pourtant pouvoir trancher sur la question : selon cer- tains (les chafiites, les hanbalites, la plupart des malékites, et Ibn Hazm), il s’agit d’une nourriture halal alors que d’autres (comme les hanafites et al-Layth ibn Sa‘d) la considéraient comme illicite car il ne s’agit pas d’un poisson. Les index des motifs de la narration populaire répertorient des contes où la sirène est présentée comme une figure ambivalente : charmante et bienfaisante, elle peut finir par se retourner contre son protégé. Ces contes circulent bien au-­ delà de la Méditerranée. Dès les premiers contacts commerciaux avec l’Afrique, des contes d’origine européenne ont été en effet diffusés dans le continent afri- cain. La légende de Mélusine a été de la même façon transposée au sud du Sahara. Un conte Popo, récolté au Togo et publié en 1927, élabore de nouveau le thème mélusinien de l’épouse surnaturelle qui impose un tabou au mari en échange de la prospérité et le promet à la ruine s’il trahit son pacte. Dans ce conte, la sirène est désignée par un terme pidgin, Mami Wata, né du contact et de l’assimila- tion avec les langues de l’Afrique occidentale, de l’anglais mother water . L’impact de la conquête coloniale en Afrique a accru et rendu plus rapides et directs les échanges transculturels, tout en produisant des traces documentaires. Cependant, les processus d’intégration d’images et d’un imaginaire associés aux sirènes anti- cipent ceux que la conquête coloniale a instaurés. Des documents iconogra- phiques témoignent de la transposition en Afrique d’images liées à l’imaginaire folklorique européen. Des sirènes sont en effet représentées dans des ivoires afro-­ portugais qui attestent les premiers échanges entre Europe et Afrique, depuis le milieu du xv e siècle jusqu’au xvii e siècle. Selon les spécialistes de ces objets, les images des sirènes que l’on retrouve dans des livres contemporains des explora- tions portugaises en Afrique auraient ainsi offert des modèles iconographiques aux artisans des ateliers du golfe de Guinée (Bassani et Fagg, 1988). La figure de la sirène, associée à celle des esprits aquatiques locaux, est lar- gement connue en Afrique de l’Ouest et dans une bonne partie de l’Afrique centrale. Ici, Mami Wata évoque un esprit aquatique au charme dangereux autour duquel se définit un complexe de croyances et de pratiques rituelles. À Mami Wata est attribuée la capacité de prodiguer la fortune, sous une forme contemporaine de richesse, argent liquide et profit personnel. Mais sa nature est, dans tous les cas, ambivalente : le succès et le bonheur qu’elle accorde peuvent être soudainement révoqués et transformés en calamités fatales pour ceux qui la trompent.

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=