Sirène | Bortolotto, Chiara

Sirène 1392 se jettent dans la mer après avoir été vaincues par Ulysse ou par Orphée. Ce sui- cide établit un lien, promis à une longue fortune, avec la dimension aquatique. C’est dans le Liber monstrorum , un bestiaire rédigé entre le vii e et le viii e siècle en milieu anglo-saxon, que les sirènes sont décrites, pour la première fois, comme des femmes avec une queue de poisson. Les textes des bestiaires ainsi que leurs illustrations dans les enluminures des manuscrits ou dans les sculptures des édifices religieux permettent de suivre l’évolution morphologique de la sirène. La femme-oiseau demeure la version la plus commune dans les textes des bes- tiaires, qui font une lecture allégorique et moralisatrice des sirènes : créatures hybrides qui, par leur chant, induisent les navigateurs au sommeil pour ensuite les ébranler, elles seraient une représentation allégorique des prostituées qui mènent le bon chrétien à la ruine. Toutefois, le modèle de la femme-poisson influence progressivement l’iconographie de la sirène et est, parfois, en contradic- tion avec le texte que les images illustrent et qui continue à présenter les sirènes comme des femmes-oiseaux. À partir de la fin du xi e siècle, les sirènes commencent à être décrites comme des êtres réels et non plus uniquement comme des symboles du péché. La légende de Mélusine témoigne de cette évolution. Plusieurs variantes de cette légende sont transmises par des textes latins rédigés par des ecclésiastiques aux xii e et xiii e siècles (Le Goff et Le Roy Ladurie, 1971). Dans ces récits, un homme épouse une fée cachant une nature hybride et qui, une fois découverte, abandonne la mai- son. À la fin du xiv e siècle, cette légende est reprise, dans deux romans, par Coudrette et Jean d’Arras qui attribuent à la fée le nom de Mélusine et l’asso- cient à la généalogie des Lusignan : Raymondin espionne sa femme Mélusine au bain et découvre qu’elle se transforme tous les samedis en femme-serpent. Après cette violation de son secret, Mélusine abandonne le château de Lusignan mais revient toutes les nuits voir ses enfants. Même si les romans nous présentent Mélusine au bain comme un serpent ou un dragon, Jean d’Arras la décrit dans une attitude qui permet de l’associer aux sirènes car il précise qu’elle peigne ses cheveux. Le motif de la sirène avec peigne et miroir est en effet répandu dans les bestiaires, dans les marginalia des manuscrits et dans la sculpture (Leclercq-­ Marx, 1997). En particulier, une enluminure du manuscrit le plus ancien du roman de Coudrette qui, contrairement à Jean d’Arras, précise que, lorsque Mélusine revient s’occuper de ses enfants la nuit, elle leur donne le sein, repré- sente Mélusine nourrice en forme de sirène alors que, quelques pages aupara- vant dans le même manuscrit, l’artiste l’a représentée en dragon, s’envolant du château (Clier-Colombani, 1991). Ce choix de l’artiste témoigne des versions alternatives de la légende, celles qu’il connaissait parce qu’elles circulaient oralement. Les vertus prodigieuses du lait des sirènes sont en effet un motif récurrent des contes. Plusieurs témoignages textuels

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