Reclus, Élisée | Cattedra, Raffaele

Reclus, Élisée 1340 viaduc sur le détroit de Messine et même un tunnel sous le pas de Calais… – des ouvrages dont certains seront effectivement réalisés et qu’il peut envisager en visionnaire ( La Terre , II, p. 717‑720). Il s’agit d’après lui d’une « révolution géologique » ( ngu , I, p. 48) qui soutient et permet la relance commerciale de la Méditerranée du xix e siècle. La Méditerranée comme vecteur signifie ainsi expansion de la navigation, des réseaux télégraphiques et ferroviaires, saisis dans une vision idéaliste : « Or, que sont les échanges, à un certain point de vue, sinon la rencontre des peuples sur un terrain neutre de la paix et de la liberté, sinon la lumière se faisant dans les esprits par la communication des idées ? » ( ngu , I, 1875, p. 47.) L’humanisme et l’universalisme méditerranéen ancrés dans le credo du progrès, de la science et de la technique semblent s’ins- crire dans le droit fil du « rêve méditerranéen » saint-simonien, expression d’un mouvement que Reclus a côtoyé dans sa jeunesse. En ce sens, en s’appuyant sur l’antériorité de l’utopie universaliste saint-simonienne, Deprest (2002, p. 82‑83) diverge du point de vue d’Anne Ruel alors qu’elle affirme que Reclus « accomplit un saut scientifique [du fait qu’] avec lui la Méditerranée devient une valeur » (Ruel, 1991, p. 9). En effet, en 1832, Michel Chevalier, fervent saint-simonien, avait déjà annoncé dans son Système de la Méditerranée publié dans le journal Le Globe , le rêve d’une « association universelle » autour de la Méditerranée, réunissant dans son « lit nuptial […] l’Orient et […] l’Occident » (Chevalier, 2006). Retenons, malgré tout, que les positions discursives de Chevalier et de Reclus, leurs modalités d’édification programmatique et idéelle de la Méditerranée en tant qu’aire culturelle de paix, ne reposent pas sur les mêmes supports d’énonciation et de communication : un texte d’opinion pour le premier, et un ouvrage destiné au grand public, publié initialement en fasci- cules, pour l’autre. Alors que Michel Chevalier considère cette mer comme la jonction de l’Est et de l’Ouest, Reclus la voit comme le véhicule d’unification des trois continents environnants. Comme Pelletier (2009) l’a montré, Reclus installe sa frontière conventionnelle entre monde oriental et monde occidental beaucoup plus à l’est, entre l’Inde et la Perse. Du reste nous retrouvons aussi cette différence dans leurs carrières professionnelles et dans leurs modes de vie : l’un est devenu commis d’État, homme politique et monarchiste ; l’autre est resté un intellectuel engagé , libertaire et exilé. L’argumentation de l’unité de la Méditerranée chez Reclus n’est pas exclusi- vement d’approche culturaliste, d’autres domaines y participent. Cela apparaît lorsqu’il écrit dans le premier volume sur l’ Afrique septentrionale que « quoique séparée de l’Espagne et de l’Italie, l’Afrique nord-occidentale est encore par sa géologie, de même que son histoire naturelle et son climat, une terre essentielle- ment méditerranéenne […]. Des deux côtés de la Méditerranée les mêmes fos- siles se retrouvent dans les roches anciennes […] » ( ngu , X, p. 3). À ce dispositif

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