Printemps arabe | Kerrou, Mohamed

1326 Printemps arabe et à l’incapacité des États nationaux à affronter les défis de la globalisation dans laquelle s’insère le « printemps arabe ». Il en résulte des phénomènes paradoxaux que l’historien Tewfic Aclimandos résume par une formule éloquente : « Pour le meilleur : le printemps arabe est celui de la créativité, du foisonnement des idées, d’une constitution de mini-espaces, de mini-cités, dans chaque quartier débattant de tout, et pour le pire : on peut aussi entendre ou voir des horreurs, comme jamais auparavant. » Une telle dynamique sociétale propulsée par de nouveaux acteurs est en rup- ture radicale avec les expériences islamistes qui ont eu pour théâtre, il y a quelques décennies, des pays comme l’Iran, l’Algérie et le Soudan, de même qu’elle réfute la thèse du complot extérieur qui serait, selon certains esprits chagrins et para- noïaques, ourdi par les intérêts étrangers contre le monde arabe en vue de le transformer, à l’image de l’Irak, en champ de guerre. Reste que le « printemps arabe », dont les raisons d’être sont fondamentalement liées au contexte local et national dans lequel le changement de régime s’est opéré ou bien est en train de s’effectuer, n’est pas dénué d’intérêts géostratégiques de la part des puissances régionales (Israël, Arabie Saoudite, Iran, Qatar) et internationales (États-Unis, Europe, Chine et Russie). À l’épreuve du pouvoir, l’islamisme subit les logiques du changement et de la résistance dans tous les pays arabes, qu’ils soient le terrain de révolutions paci- fiques (Tunisie, Égypte) et violentes (Libye, Yémen et Syrie) ou bien de réformes agencées en vue d’une plus grande démocratisation de la vie publique (Maroc, Jordanie, Oman, Koweït…). Jusque-là épargnées, les monarchies subissent une forte pression populaire qui les contraint, tôt ou tard, à changer. Partout, le monde arabe bouge, et le processus de transformation qui l’atteint est appelé à se développer davantage en raison de l’épuisement des ressources des régimes auto- ritaires et de l’extension des exigences citoyennes et démocratiques. À ce titre, le monde arabe apparaît comme partie intégrante d’une dynamique internationale qui s’y exprime en empruntant des cheminements adaptés à son histoire, à sa culture millénaire et à sa position stratégique, tout en s’en distinguant par ses ressources énergétiques et démographiques, ses nouveaux acteurs et ses actions de renouvellement du politique en situation de transition incertaine. Le sort du « printemps arabe » dépendra certainement de la donne locale de dialogue et de compromis historique mais également de la donne internationale plus ou moins orientée vers une coopération équilibrée et une paix partagée dans la région. Au final, la question est de savoir si, dans ce monde en pleine transformation, une meilleure connaissance des pays d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient ne passe pas nécessairement par un changement de regards et de paradigmes

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