Printemps arabe | Kerrou, Mohamed

1325 Printemps arabe Le principal acquis de la « révolution arabe » semble être la chute du mur de la peur puisque les individus disposent désormais de la liberté de parole qui leur confère le pouvoir de débattre et de contester les dirigeants publiquement et non plus dans la sphère privée de la famille et des proches. Cependant, les atteintes aux libertés montrent que cet acquis est à la fois fragile et suscep- tible de régression. Il en est de même de la société politique qui subit le poids de la bipolarisation, de la violence et du rejet du pluralisme social, ethnique et confessionnel (chiites, juifs et chrétiens). Le sort de la Syrie en proie à une violence meurtrière menaçant l’État et la société d’éclatement pèse de tout son poids sur le devenir du « printemps arabe », d’autant plus que les victimes civiles et les populations déplacées attestent une véritable tragédie dont la res- ponsabilité incombe au pouvoir, aux mercenaires et aux intérêts des puissances régionales et mondiales. La bipolarisation entre les islamistes et les modernistes séculiers traduit, selon des rythmes fort particuliers liés aux types de rapports entre les États en place et les sociétés constituées en nations, l’existence d’une société politique éclatée qui informe autant sur les divisions idéologiques que sur les inégalités sociales et culturelles. L’idéologie intervient à tous les niveaux, aussi bien dans les ins- titutions officielles comme le parlement chargé de l’écriture d’une constitution oscillant entre l’État civil démocratique (thèse laïque et séculariste) et la charia (doctrine islamiste et fondamentaliste) que dans les groupements sociaux élé- mentaires de la famille et du quartier traversés par des conflits exacerbés. À ce titre, le salafisme à tendance jihadiste apparaît comme étant l’expression à la fois d’une vision politico-religieuse de type rigoriste incarnée par le wahhabisme et également le produit d’une exclusion sociale et culturelle vécue dans la douleur par des jeunes recrues provenant, pour l’essentiel, de milieux pauvres et défa- vorisés. D’où l’esprit de revanche développé à l’encontre des dirigeants et des privilégiés du pouvoir et ce par le recours aux actions de terreur et à la visibilité sociale qui intègre la mode vestimentaire importée – jellaba afghane pour les hommes et voile intégral pour les femmes (avec des chaussures Nike) –, les gad- gets partagés par le grand nombre comme les téléphones mobiles et les tablettes numériques ainsi que les objets ostentatoires – grosses cylindrées de luxe – qui sont l’apanage des néoprédicateurs issus des monarchies pétrolières et devenus « globe-trotters » de l’islam mondialisé. Le statut de la violence en situation de transition réfère à l’étiolement de la sphère étatique et à l’apparition d’une sphère parallèle où s’entrecroisent le politico-religieux et le monde de la contrebande – marchandises, armes et émigration africaine organisée – qui se développe en plein jour et non plus en marge de l’économie et de la société. De la sorte, on assiste à l’apparition de phénomènes apparemment étonnants mais qui sont liés à la crise de l’autorité

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