Printemps arabe | Kerrou, Mohamed

Printemps arabe 1324 spontanéité du mouvement de mobilisation et à ses canaux de transmission que sont principalement les réseaux sociaux, véhiculés par les nouvelles technologies de l’information et de la communication ( ntic ) et organisés selon un mode hori- zontal. La donne numérique ne signifie pas que le mouvement était impulsé uni- quement par le Web puisque ce sont les mobilisations dans les places publiques comme celles de Tahrir au Caire et de l’avenue Bourguiba ou de la Kasbah de Tunis, pour se limiter aux cas égyptien et tunisien, qui ont contraint les dicta- teurs à partir et continuent de peser sur les événements en cours pour amener les gouvernants élus à respecter la volonté d’un peuple qui n’accepte plus d’être traité comme une masse de sujets du souverain, mais veut s’affirmer comme un ensemble de citoyens ayant des droits. Partout dans le monde arabe, les mobilisations de masse ont mis en exergue le rôle des jeunes et des femmes qui refusent de s’identifier aux vieux dirigeants corrompus et exigent une société libre, plurielle et ouverte sur le monde. Le « printemps arabe » incarne, entre autres, un conflit de générations accompa- gné, chez les jeunes, d’un esprit de créativité culturelle et d’une exigence d’éga- lité de genres. En se mêlant aux hommes dans l’espace public, les femmes arabes ont impulsé des actions d’organisation et de solidarité exemplaires qui conti- nuent au cours de la période de transition. Néanmoins, la transition menée par les nouveaux politiciens, à majorité islamiste, élus démocratiquement sans avoir participé directement à la révolution, s’est transformée en transition contre les jeunes et contre les femmes. Les blogueurs et les militants associatifs ont fait l’objet d’exclusion du champ politique et de violences sur les places publiques, comme en témoignent les répressions policières régulières et les actions de har- cèlement des femmes dans l’espace public, ainsi que les tentatives de viols col- lectifs de journalistes étrangères sur la place Tahrir. Ce qui caractérise la transition est fondamentalement une crise de légitimité de l’État qui a perdu sa « tête » en maintenant sa structure pyramidale et auto- ritaire durant une période marquée par la désorganisation administrative et la désobéissance civile. Le dictateur est tombé mais le système nidhâm s’est main- tenu au prix d’un échange du personnel politique qui s’avère, pour l’heure, inca- pable de propulser la justice transitionnelle et d’adopter une politique économique à même de satisfaire les demandes d’emploi et la protection du pouvoir d’achat des classes moyennes et démunies. Ces classes sociales, qui étaient le pilier de l’ancien régime policier et népotique, ont été le fer de lance du mouvement de mobilisation révolutionnaire dont l’acteur axial est indéniablement le peuple. Cette catégorie est différente non seulement du peuple de sujets dominés par le souverain et ayant prévalu jusqu’au xix e siècle, mais également du peuple, du mouvement national uni derrière le fameux zaïm ou leader charismatique. Il s’agit de l’émergence historique d’un nouvel acteur : le peuple des individus-citoyens.

RkJQdWJsaXNoZXIy NDM3MTc=