Printemps arabe | Kerrou, Mohamed

Printemps arabe 1323 Pour légitimes que soient ces questions de la fondation de l’événement- révolution, elles ne sauraient évacuer celles des antécédents et des prolongements historiques. Car loin de constituer un « événement soudain » ou une « métamor- phose de l’histoire », le changement politique survenu dans certains pays arabes est non seulement le produit d’une accumulation de luttes et de résistances sociales mais aussi le prélude à une « nouvelle ère » qui vient à peine de commencer. C’est pour cette raison que le processus révolutionnaire est à relier à la période de transition politique actuelle. Révolution et transition ne sont point à séparer mais à penser ensemble. À la limite, la « révolution arabe » ou ce qui est consi- déré comme tel, ne pourrait être étudiée per se dans la mesure où elle s’éclaire mieux par la période qui lui succède, celle justement de la transition politique. Il est également important de constater qu’une année après son déclenchement et, à la faveur des victoires électorales des islamistes en Égypte et en Tunisie, la « révolution arabe » a été souvent perçue par les mêmes analystes, qui louaient au début la « révolution glorieuse », comme étant une « contre-révolution ». Elle n’est certainement ni l’une ni l’autre, mais plutôt un pan de l’histoire qui reste à élucider à la lumière des réponses apportées par les acteurs aux défis du change- ment dont le noyau se trouve façonné par la question du compromis historique avec ce qu’elle suppose comme conflits, négociations et capacités de dialoguer et de construire une démocratie adaptée au contexte local. La transition politique est actuellement marquée par une crise de légitimité de l’État et par un décalage entre les modes de gouvernement et les promesses élec- toralistes de rupture avec l’ancien régime et de satisfaction des exigences liées au droit au travail et à la dignité. Les slogans de la révolution étaient en effet axés sur les principes de changement radical et de revendications citoyennes. En criant : « Dégage » et en réclamant : « Le peuple veut la chute du régime », les manifes- tants tunisiens, qui avaient courageusement défié la police et l’armée, voulaient en finir avec la dictature. De même, en exigeant l’accès au « Travail, liberté et dignité nationale », en refusant de subir les excès humiliants de la « bande des voleurs » formée par la famille du raïs, ils exprimaient, pour la première fois dans l’histoire, une demande de citoyenneté et une revendication de transpa- rence des dirigeants. Contrairement à la vision néo-orientaliste qui analyse le monde arabe comme étant un ensemble de sociétés constituées de trois ordres – les tribus, l’armée et les islamistes –, le « printemps arabe » brise cette vision mythique et illustre, au quotidien, l’importance de la société civile formée par les syndicats, les partis politiques et les associations qui disposent d’un contre- pouvoir réel, débattent des affaires publiques et résistent à toutes les formes de dictature et de domination. L’absence de leadership et de vision globale du changement politique était liée chez les jeunes et les femmes qui forment l’ossature de la société civile, à la

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