Postcolonialisme | Fabbiano, Giulia

Postcolonialisme 1298 critique, à l’écriture d’une histoire nationale post-1962 et, surtout, à une pen- sée « pour elle-même » en mesure de renverser la centralité du cadre colonial et la référence ponctuelle au colonisateur. S’il est vrai que le postcolonialisme n’incarne pas une orientation théorique ou idéologique précise, il constitue néanmoins une « boîte à outils » précieuse dans l’analyse des phénomènes contemporains. Dans le pourtour méditerranéen, marqué par des situations coloniales de nature, de durée et d’ampleur différentes, réfléchir en termes postcoloniaux pourrait contribuer à désamorcer une vision binaire, opposant le Nord au Sud, le centre à la périphérie, l’Europe au Maghreb ou au Moyen-Orient, et rendrait possible une analyse compréhensive de l’his- toricité imbriquée des contextes nationaux et des réalités sociales. Cela permet- trait, en d’autres termes, d’aller au-delà d’une lecture segmentaire des équilibres politiques, des relations sociales et des expressions culturelles pour cerner les phénomènes dans leur globalité et, surtout, dans leur complexité. Les différentes formes d’exploitation et de domination politiques – allant du protectorat à la colonisation de peuplement en passant par des zones d’influence stratégiques –, ayant donné lieu à des luttes nationalistes aux traits fort distinctifs, empêchent cependant de penser la Méditerranée postcoloniale comme une réalité uniforme et homogène. Cette diversité est saillante non seulement entre zones géo-sociales éloignées – entre le Maghreb et le Moyen-Orient par exemple – mais au sein même d’aires limitrophes. Ainsi serait-il impossible de parler d’une situation post­ coloniale maghrébine en raison des contextes spécifiques – aussi bien historique- ment que politiquement – du Maroc, de l’Algérie et de la Tunisie. Or, malgré des réalités diversifiées et sous maints aspects incomparables, ce qui caractérise la Méditerranée postcoloniale est le fait d’être un espace traversé par des logiques d’interdépendance et d’imbrication héritées de l’expansionnisme colonial, qui imprègnent l’ensemble des sphères – culturelle, linguistique, éco- nomique, politique – de la vie sociale et ses imaginaires. La situation franco-­ algérienne en est probablement, pour sa portée exemplaire, l’illustration la plus éclairante. La valeur heuristique de l’indépendance algérienne en tant qu’événe- ment matriciel réside moins dans la consécration de la séparation de deux enti- tés nationales, là où, auparavant, il n’y avait qu’un seul ordre colonial, que dans l’accent mis sur l’irréversible dualité, sur l’intime altérité, qui depuis accom- pagnent et caractérisent non seulement l’Algérie mais également la France. Cela est visible dans les deux pays au niveau, entre autres, des héritages culinaires (le couscous par exemple), des emprunts langagiers – que l’on pense à l’arabe algé- rien rythmé par des termes français, mais aussi à tous les mots arabes, tels « bled », « toubib » ou encore « souk », devenus ordinaires dans la langue de Molière –, des imaginaires politiques – la référence au « temps de la France » (waqt França) ne cesse de travailler, à toutes ses échelles, la société algérienne contemporaine

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