Postcolonialisme | Fabbiano, Giulia

Postcolonialisme 1297 Les troubles dans la réception laissent ainsi transparaître, au-delà d’une réac- tion corporatiste, le malaise à aborder le colonialisme comme une expérience non seulement enracinée mais surtout constitutive de la République et de son récit national. La prolifération de discours et de positions ouvertement antagonistes, qui ont caractérisé les polémiques de la dernière décennie, semble plutôt faire écho aux mutations connues par la société française et, plus particulièrement, à l’émergence de revendications minoritaires exprimées dans un registre ethno-­ racial. Force est de constater que la banalisation du terme « postcolonial » en France, désormais entré dans le langage courant, neutralise sa potentialité heu- ristique, le réduisant à signifier non seulement ce qui, chronologiquement, vient après le colonial ou est issu du colonial, mais surtout ce qui est exclusivement en relation avec la population anciennement colonisée : les immigrés nord-africains, leurs descendants, leurs mémoires, leurs énonciations identitaires, leurs espaces urbains, leurs positionnements sociaux. Selon cette logique, la République est postcoloniale non pas parce que ses institutions, son imaginaire et son histoire sont indissociablement liés au système colonial, parce qu’elle porte, autrement dit, la colonie en son sein, mais parce que, à cause des flux migratoires en pro- venance du Maghreb et d’Afrique subsaharienne, elle a été troublée par une alté- rité irréductible venant des anciennes colonies. En dehors de la France, malgré la large diffusion du vocabulaire postcolonial, ce courant n’a pas atteint les institutions universitaires des pays du pourtour médi- terranéen, qu’il s’agisse des pays anciennement colonisateurs – comme l’Italie – ou des pays anciennement colonisés. À l’exception de quelques recherches ponctuelles, il est globalement peu mobilisé pour explorer les situations et les relations marquées par le dépassement de l’expérience coloniale. Le cas italien est intéressant en ce qu’il relève, aussi bien au niveau des pratiques politiques que des imaginaires sociaux, de l’occultation de l’expérience coloniale, comme le montre la faible place qui lui est octroyée dans les programmes scolaires. Au Maghreb, la rareté de travaux théoriques autour du postcolonialisme va de pair avec le faible écho des études subalternes indiennes qui, à partir du début des années 1980, ont renouvelé l’historiographie de l’Inde coloniale et promu une épistémologie libérée de l’universalisme moderniste eurocentré. S’attaquant à la production du récit officiel, la critique de ce collectif de penseurs a prôné l’écriture d’une histoire à l’écart de l’idéologie nationale élitiste, attentive aux trajectoires du « peuple » traditionnellement forclos des narrations et des représentations domi- nantes. Bien que les études subalternes aient inspiré des figures intellectuelles postcoloniales en Afrique du Nord, elles restent cependant majoritairement à l’écart. L’absence d’un contre-récit hégémonique est particulièrement saillante en Algérie, où l’hypercommémoration mémorielle de la révolution génère une sorte de dramaturgie historique, ne laissant guère de place au questionnement

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