Poil | Bromberger, Christian

Poil 1282 (y compris capillaire) du monastère l’a emporté sur le désordre (y compris pileux) du désert et de la forêt. Ces deux types de monachisme correspondent à deux types de rapport au sacré : l’un est soumis à l’ordre et à l’institution, l’autre est fusionnel, s’exprimant à travers l’extase, voire la transe. L’islam connaît aussi ses mouvements mystiques et leurs expressions pileuses singulières (soit un rasage intégral, soit l’échevèlement) : les ghalandar -s, les derviches de Turquie et du Moyen-Orient, les soufis, les gnawa du Maghreb… se singularisent par une relation directe au divin et par une apparence pileuse singulière. Ces compor- tements « hétéropraxes » ont suscité à travers le temps, chez les autorités aussi bien sunnites que chiites, réprobation et condamnation. Dans des religions qui prônent la prise de distance à l’égard de la nature, la pire punition pour l’homme est la régression à l’état d’animal couvert de poils. Cet hirsutisme pénitentiel n’est-il pas la sanction infligée par Dieu à Nabuchodonosor pour prix de son orgueil démesuré ? « Chassé d’entre les hommes, nous dit le Livre de Daniel (IV, 30), il mangeait de l’herbe comme les bœufs et son corps était baigné par la rosée du ciel, au point que sa chevelure poussa comme les plumes des aigles, et ses ongles, comme ceux des oiseaux. » Ce n’est qu’après avoir « béni le Très-Haut » qu’il retrouva forme humaine. Cette horreur du retour à la nature, de la confusion de l’homme et de l’animal mais aussi des sexes s’exprime également à travers un mythe méditerranéen qui a la vie dure, celui de la Méduse, avec sa chevelure hérissée de serpents et son menton poilu. Juifs, chrétiens et musulmans ne respectent pas tous – loin de là ! –, et a for- tiori dans le monde contemporain, les normes ou les coutumes qu’ont fixées leurs religions. Les normes les plus contraignantes sont même l’objet de révoltes. Des féministes (juives surtout) ont pris pour emblème de leur rébellion une figure de la mythologie biblique aux cheveux roux, flottants et dénoués, Lilith. Dans la tradition et le folklore juifs, Lilith apparaît comme une démone, une femme fatale, à la sexualité insatiable et illicite ; elle cherche à prendre la place de l’épouse légitime et provoque chez les hommes des pollutions nocturnes afin d’engendrer des enfants-démons. À la porte de la maison, et surtout aux murs de la pièce où une femme allait accoucher, il était de coutume d’accrocher une amulette où était écrit : « Adam et Ève sauf Lilith ». Cette chevelure au vent, symbole de séduction, est devenue, pour les féministes, un emblème de liberté, de rébellion face à l’ordre sexuel établi, tout particulièrement contre la tradi- tion de la chevelure couverte. Vecteur de différenciation entre les sexes, entre les générations, entre les tra- ditions religieuses, objet de réprimande, voire de sanction, le poil est un sujet majeur de controverse dans les sociétés du monde méditerranéen. Christian Bromberger

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