Poil | Bromberger, Christian

Poil 1281 Faut-il souligner la place originale qu’occupe le judaïsme dans ce système de différences pileuses complémentaires ? Les traits distinctifs des hommes pieux sont une barbe fournie, la tonsure et des papillotes (pe’ot) roulées en anglaises, conformes aux prescriptions du Lévitique (XIX, 27) : « Ne taillez pas en rond le bord de votre chevelure et ne supprime pas ta barbe sur les côtés. » Quant aux femmes mariées, elles doivent avoir, dans la tradition juive orthodoxe, les cheveux rasés et la tête couverte, le plus souvent d’une perruque qui s’est substi- tuée au foulard et au turban. Encore faut-il que ces postiches ne soient pas faits à partir de cheveux d’infidèles, selon un rabbin ultraconservateur qui prescrit, en mai 2004, de les brûler si tel était le cas. Le respect de la tradition, très suivi chez les ashkénazes d’Europe centrale (chez les hassidims par exemple), l’était beaucoup moins par les séfarades qui suivaient souvent les coutumes du pays où ils résidaient. Mais les autorités prenaient des mesures pour éviter l’indis- tinction. Dans la Sicile de Frédéric II, un décret, édicté en 1221, faisait obliga- tion aux juifs de « revêtir un costume distinctif » mais aussi « aux hommes de se laisser pousser la barbe afin qu’on puisse les distinguer de leurs voisins ». Le même décret discriminatoire fut pris, en 1412, dans l’Espagne de la Reconquista. Si chaque grande tradition religieuse a imposé ses normes, les schismes ou scis- sions au sein de chacune d’elles ont eu des expressions, voire des motifs pileux. Le poil a ainsi été un argument du schisme de 1054 au sein du christianisme entre l’Orient, avec ses clercs portant les cheveux longs, la barbe et la moustache, et l’Église romaine, avec ses clercs glabres à la chevelure tonsurée. De même, dans l’islam, des communautés hétérodoxes affichent leur singularité en s’écar- tant des normes qu’impose la fitrah (la bonne et saine nature). Ainsi, chez les ahl-e haqq (les « gens de la vérité »), une importante communauté hétérodoxe dont les fidèles sont nombreux dans l’Ouest de l’Iran et le Nord-Est de l’Irak, les hommes portent une moustache qui déborde sur la lèvre supérieure et n’est donc pas conforme à la norme qui veut qu’aucun aliment (qui doit être pur) ne touche un poil (qui a pu être en contact avec une substance impure : une excrétion – de la morve, par exemple – ou une immondice flottant dans l’air). Cette prise de distance par rapport aux normes pileuses est encore plus frappante chez les Yazidis, une minorité dispersée aux « confins turco-arabes » et dont les croyances associent des éléments musulmans, chrétiens, juifs, zoroastriens, etc. Ils se singularisent par leur hirsutisme si bien que les Turcs les surnommaient « gens aux huit moustaches ». Les religions du Livre se rejoignent dans leur défiance à l’égard de l’érémi- tisme avec ses fous de Dieu errants et hirsutes. Dans le christianisme, à l’éré- mitisme des premiers siècles s’est substitué, sous l’impulsion de saint Pacôme, de saint Jérôme puis de saint Benoît, le cénobitisme (la vie en communauté) avec ses règles et sa codification de la pilosité sous l’autorité d’un abbé. L’ordre

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