Pitt-Rivers, Julian | Handman, Marie-Élisabeth

Pitt-Rivers, Julian 1244 spirituelle du rite religieux [la messe], de revenir à la moralité de tous les jours, de récupérer sa masculinité et de reconnaître notre nature animale, mise entre parenthèses par le contact avec la Divinité » (« Sainte Véronique, patronne des arènes », Gradhiva , 16, 1994, p. 85). C’est la position qu’il défendra pour que ne soit pas interdite la corrida en Europe, dans un rapport remis au Parlement européen en 1992. Ce contact avec la Divinité, qui dispense la grâce, il en sou- ligne déjà l’importance dans From the Love for Food to the Love of God , la Marett Lecture qu’il prononça en avril 1988 ( Love of Food, Love of God , University of Chicago Press, 1991). Mais c’est surtout dans « Postscript: the Place of Grace in Anthropology », sa postface au dernier ouvrage écrit en collaboration avec John Peristiany, Honor and Grace , qu’il va rassembler les différents sens du mot « grâce » qu’il avait relevés jusque-là, et les élargir à d’autres champs anthropo- logiques. Fidèle à son goût pour la philologie, la théologie et l’histoire, il fait l’historique du mot « grâce » depuis ses origines indo-européennes, les différents sens dans lesquels il est utilisé, et ses liens avec l’honneur qui renvoie surtout à la volonté humaine, alors que la grâce, elle, renvoie à la volonté de Dieu, tous deux ayant rapport au pouvoir. Avoir la grâce renvoie à la pureté, et faire grâce à la gratuité. Honneur et grâce sont indissolublement liés, soit que la grâce confère l’honneur (au roi ou au sultan, par exemple), soit qu’elle s’y substitue (dans le cas des femmes ou des vieux sages), soit encore qu’elle rachète les péchés que la recherche ou le maintien de l’honneur (masculin) conduisent à commettre. Une fois encore, Pitt-Rivers montre d’une part que l’honneur et la grâce ne sont pas du tout la même chose selon que l’on est homme ou femme, et souligne d’autre part toute l’ambivalence de ces concepts, puisque, par exemple, la sabia de Grazalema qui a le don de guérir, et guérit gratuitement, peut être à l’ori- gine de la sorcellerie. Il revisite aussi les termes hau , mana et kula pour ouvrir aux anthropologues l’étude de la grâce dans ses liens avec le don (au sens maus- sien du terme) et avec l’amitié, tous deux gratuits… et ambivalents. Si dans ce livre Pitt-Rivers insiste davantage sur la grâce que sur l’honneur, c’est que celle-là avait été bien oubliée des chercheurs, alors que, depuis les années 1960, l’honneur avait fait son chemin parmi eux. Pitt-Rivers avait d’ail- leurs participé l’année précédente à un ouvrage collectif, L’Honneur. Image de soi ou don de soi : un idéal équivoque (La Découverte, Paris, 1991), où il traitait de « La maladie de l’honneur » (p. 20‑36). Il reviendra encore deux fois sur ce thème dans les mélanges en l’honneur de son ami Peristiany (Damianakos et al ., 1995), et pour un compte rendu paru dans L’Homme de l’ouvrage de Frank Henderson Stewart, Honor (143, 1997, p. 215‑217). Pour une fois, Pitt-Rivers se montre très critique et même dur à l’égard d’un collègue qui, un an plus tard, le lui rendra bien dans la rubrique “Débats” de la même revue (147, 1998, p. 237‑246). On peut en déduire que les chercheurs ne sont pas les derniers à défendre leur honneur !

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