Pèlerinage | Albera, Dionigi

Pèlerinage 1199 par les défenseurs de l’orthodoxie. Même dans le christianisme, la fréquentation massive de la Terre sainte provoqua des réactions négatives de plusieurs Pères de l’Église, tels Augustin et Jean Chrysostome, qui y voyaient une manifestation inutile, voire dangereuse. Des critiques véhémentes du pèlerinage à Jérusalem furent proférées par Grégoire de Nysse, qui considérait la Ville sainte de ses jours comme un nid de bandits et de prostituées. La critique des « déviations » des pèlerinages fut reprise avec vigueur par la Réforme protestante. Les projections du pèlerinage dans l’espace physique sont loin d’être négli- geables. Les déplacements incessants des pèlerins ont contribué à façonner la géographie de la Méditerranée par une série d’infrastructures nécessaires à leur déploiement. Outre les édifices proprement religieux, tout un ensemble de réa- lisations – lieux d’accueil pour les pèlerins, routes – et d’activités artisanales et commerciales a été lié à la fortune de certains pèlerinages, en décrétant l’essor ou le déclin de villes et de régions entières. Mouvements inlassables, les pèlerinages contribuent de manière paradoxale à « fixer » des territoires et à en figer les représentations symboliques. Certains pèlerinages centraux définissent ainsi un sens d’appartenance général pour une entière communauté religieuse (Jérusalem, Rome, La Mecque, Karbala). La singularité de Jérusalem consiste dans le fait d’être l’épicentre de trois géogra- phies symboliques divergentes, qui dans ce lieu se superposent, se frottent et s’opposent. D’autres pèlerinages concourent à définir et souder une affiliation nationale, régionale ou locale, où la composante religieuse se mêle à d’autres déterminations de l’identité sociale. Les pèlerinages ont un rayonnement varié et une importance hétérogène. En général, les lieux de pèlerinage sont distincts des lieux de culte habituels de la communauté religieuse installée dans un territoire (église, mosquée ou syna- gogue). La dialectique entre le proche et le lointain se décline en une multiplicité de formes, allant du dépaysement total au prix d’années de voyages au simple détour d’un jour dans un espace familier, des grands centres au rayonnement international tout le long de l’année, jusqu’au petit sanctuaire qui n’attire que des gens des alentours. Les pèlerinages centraux sont les plus proches des noyaux théologiques de chaque religion, et les comportements des pèlerins y sont plus normés. La dimension eschatologique et spirituelle est souvent mise en avant, même si cela ne signifie pas l’absence de négociations plus concrètes avec l’au-­ delà, à travers la médiation d’objets matériels, comme les flacons de l’eau sacrée de la source de Zemzem, à La Mecque, que les pèlerins rapportent chez eux, en lui attribuant un pouvoir miraculeux et des vertus thérapeutiques. Au fur et à mesure qu’on s’éloigne du centre symbolique, la dimension votive devient de plus en plus centrale dans les pèlerinages. La quête d’un secours surnaturel amène souvent à franchir les frontières mêmes de sa religion d’appartenance.

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