Peinture | Pouillon, François

Peinture 1187 travailler au soleil, alors que la gloire n’est pas encore au rendez-vous. Revenons à la question : Cézanne, Picasso, Miró, Dalí sont-ils des « peintres médi­ terranéens » ? Personne ne les réduira à cela. Pour être revenus vivre près de leur lieu de naissance, ils ont tous fait le long détour par Paris pour se fondre dans les révolutions cubiste et surréaliste. Modigliani, De Chirico sont-ils l’un ita- lien, l’autre grec ? Ils appartiennent avant tout à l’école de Paris, au même titre que Chagall et Soutine qui sont biélorusses d’origine (ou juif pour le premier), ou Foujita qui est japonais… Mais la situation se complique au fur et à mesure qu’on s’approche de l’époque contemporaine. Alors que le cosmopolitisme devient, au nord, une valeur uni- verselle, cela malgré les conflits meurtriers – ou grâce à ceux-ci –, les nationa- lismes s’imposent triomphalement au sud. C’est dans ce cadre qu’on assiste, dans la seconde moitié du xx e siècle, à une remobilisation des élites et notamment des artistes. Ils se doivent d’être, d’une manière ou d’une autre, non pas simplement peintres, mais surtout algériens, égyptiens, libanais, turcs…Cela amène souvent une promotion – les jeunes nations ont besoin d’artistes et d’illustrateurs pour remplacer les coloniaux rentrés « chez eux ». Mais cela conduit aussi à une cer- taine provincialisation : la priorité militante est de créer une école nationale, de se faire l’expression d’un peuple, de ses traditions. Le mouvement houroufiya (hurufîya) , qui s’appuie sur la lettre arabe comme schème d’abstraction inscrit dans une tradition culturelle millénaire, donne, dans le monde arabe, une for- mule indigène à l’abstraction. Mais cette mouvance fondamentaliste, de person- nalités pour la plupart formées dans les métropoles et en contact avec elles, se heurte aux pressions d’un « réalisme islamique », esthétique mixte issue de l’aca- démisme et du réalisme socialistes, qui paraît plus proche d’un message politique compréhensible pour le peuple, c’est-à-dire, en vérité, pour une classe de semi-­ lettrés qui constitue le plus souvent la nouvelle classe dirigeante : ses goûts ne dépassent guère le niveau de ceux d’une ci-devant société coloniale qui est pour elle un modèle indépassable (Pouillon, 1992). Alors « écoles » nationales ou art universel ? N’atteint pas qui veut au second, mais les premières ont certains attraits : elles fournissent des positions et parfois des postes, des crédits pour exposer, publier, voyager et même, quelquefois, un marché intérieur pour vendre avec ses critères de sélection qui, pour être effi- caces, ne sont pas toujours équitables. Pourtant, même le pouvoir politique et intellectuel est soucieux d’obtenir une certaine reconnaissance internationale et il va chercher à aller au-devant de celle-ci. Il permet ainsi d’assurer un certain pluralisme esthétique. À voir la dernière période, à la suite des désillusions nationalistes et autres désarrois idéologiques du « socialisme authentique » ou « autocentré », l’étau politique s’est significativement relâché. Bien que se dessine désormais un autre

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