Peinture | Pouillon, François

Peinture 1186 la villa Abd el-Tif, cette pseudo-Villa Médicis que la colonie implante à grand prix à partir de 1907. Alors que l’acculturation est plus puissante que nulle part ailleurs en Méditerranée, les musulmans ne se risquent que prudemment, et tardivement, dans la profession de peintre. Encore sera-ce avec un détour par la France qui accueille, dans l’entre-deux-guerres, de jeunes artistes de toute l’Europe et du monde – pourquoi pas d’Algérie ? Se pressent là, en effet, tous les jeunes artistes qui avaient remarqué la prodigieuse révolution picturale qui s’était produite entre Montmartre et Montparnasse. Les choses seront différentes en Tunisie, grâce à une meilleure coordination intercommunautaire, avec une « école de Tunis » qui est le fait de juifs autochtones, d’Italo-Français, autant que de musulmans de souche. L’Égypte, qui connaît une colonisation plus tardive, réalise une vraie école autochtone, avec des clivages moins nets entre communautés. Elle aura un effet d’entraînement qui revient à une métropole régionale, notamment avec l’expan- sion de l’arabisme nassérien (Al-Maari, 2006). C’est que la peinture constitue bien ici une invention essentiellement urbaine – le Maghreb révèle du coup sa texture terriblement ruralisée. L’art moderne, c’est le fait des métropoles : cela concerne moins l’Algérie qu’Alger, et les capitales que les villes du bled. Les grandes cités du Sud (Tunis, Casablanca, Istanbul, Le Caire, Alexandrie, Beyrouth ou même Smyrne) sont moins sur ce chapitre des villes musulmanes que des équivalents sociologiques de Marseille, Barcelone, Naples, Milan, Gênes – Venise, Rome ont un statut à part. Tout cela est affaire de hiérarchie : entre les artistes eux-mêmes, une gradation s’institue entre le peintre aristo- crate et le « peintre du dimanche », le savant académique et le peintre naïf. Le fait est qu’il faut plusieurs générations pour passer du stade de l’imitation ser- vile des techniques de l’académisme à une création originale, solidement ancrée dans la société en place dont elle serait l’émanation autant que le représentant (Naef, 2006). Il reste que l’effort collectif et parfois l’entreprise d’État pour fonder une école nationale de peinture ne débouchent pas toujours sur une consécration interna- tionale. Les deux artistes qui ont acquis précocement un vrai statut de peintre, Osman Hamdi Bey en Turquie et Mohammed Racim en Algérie, restent proches d’une peinture locale. C’est même sur cette base qu’ils ont été promus. La ques- tion est alors de savoir si l’on fait une peinture universelle ou simplement locale. La notion de peintre de la Méditerranée pousserait vers cette deuxième acception. Mais laissons de côté ceux qui sont venus trouver le plaisir de peindre sur les rives accueillantes de la mer Intérieure. Ce sont en quelque sorte des peintres coloniaux. Ils ne doivent rien au lieu, et ils apportent tout ce qu’ils sont. Matisse à Collioure ou à Tanger, c’est Matisse et rien de plus. Renoir idem . Et il en est de même de tous ceux qui s’installent, parfois en bandes joyeuses, pour vivre et

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