Peinture | Pouillon, François

Peinture 1185 qu’il a « passionnément aimé la Méditerranée, sans doute parce que venu du Nord comme tant d’autres, après tant d’autres … » [nous soulignons] (1966, p. 13). Ce sont les barbares qui ont inventé la Méditerranée. Les indigènes, eux, savent que leur pays est âpre et leurs mœurs, cruelles. Ce sont les touristes qui leur ont fait comprendre, mais pas du premier coup, le parti qu’ils pouvaient tirer des agréments éventuels du climat. Cette révolution était consommée quand tout a été remis à plat, à la fin du xix e siècle, lorsque s’est installé sur l’ensemble de cet espace, à travers différentes puissances européennes, un ordre colonial qui nouait des liens nouveaux entre le Nord et le Sud. C’est alors dans la foulée de la photographie que la peinture s’est imposée ici comme une sorte d’évidence technologique et culturelle, et cela avec une surprenante facilité. La grande faille qui s’était formée, à l’échelle millénaire, entre les farouches iconoclastes et ceux qui avaient choisi d’intégrer l’image à leur vie religieuse mais aussi sociale, politique, semblait miraculeusement comblée. Reclassements Que se passe-t‑il alors ? À la fin du xix e siècle, l’Europe a vu l’émergence d’une peinture professionnelle avec un statut exceptionnel fait à l’artiste, qui stipule notamment la propriété éminente qu’il possède sur son œuvre et, progressive- ment, la suppression des cadres jusque-là imposés à la production des images : hagiographie religieuse, célébration du pouvoir, saisie d’images personnelles comme le portrait et notamment le portrait de famille, thématique limitée à l’illustration de scènes des textes sacrés de la Bible et de la mythologie. C’est alors toute une série d’institutions spécifiques qui se met en place : musées, écoles des beaux-arts, salons de présentation, galeries d’art enfin, qui encadrent un marché de la peinture et une démocratisation de mécénats jusqu’alors réser- vés aux princes. C’est cette forme de mondialisation, relayée par l’espace colo- nial, qui va permettre une vraie unification de la pratique picturale tout autour de la Méditerranée (Pouillon, 2010). Les pays du Sud auront vite fait de rattraper leur retard dans le registre de la peinture. Si, dans la Turquie des réformes, le gouvernement envoie des élèves-­ officiers étudier aux Beaux-Arts la technologie du dessin, ce sont des écoles indigènes qui vont se développer dans toutes les grandes villes du Sud. La situa- tion à cet égard est différente selon les pays et les régions. En Algérie, la pein- ture reste longtemps un monopole du milieu colonial, boudée même par ces indigènes que l’on n’appelle pas encore des « pieds-noirs ». Quand le gouver- neur général Jonnart cherche à implanter ici une « école nord-africaine », ce sont des « Français de France » qu’il va chercher à faire venir dans le cadre de

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