Peinture | Pouillon, François

Peinture 1183 tolère. L’islam chiite, qui s’installe dans l’espace perse, ainsi que le monde turc, restent à cet égard plus libéraux que les sunnites qui dominent l’espace arabe. C’est pourtant dans ce dernier que l’on trouve, au xiii e siècle, les célèbres Maqâmât de Harîrî ou Kalîla wa Dimna , témoignages rares mais remarquables d’un art de l’illustration s’attachant, bien avant que l’Occident ne s’y risque, à des thèmes profanes. Sans que l’on puisse clairement établir des réseaux d’in- fluence ou de diffusion, on note que fleurit alors, sur les différents rivages de la Méditerranée, l’art du livre enluminé, qui entrelace textes et images (notam- ment avec les planches ouvrages scientifiques). Compacté bientôt dans la tech- nique savante de la miniature, cet art très onéreux est aussi confidentiel, et reste l’apanage d’élites cultivées. De la sorte, l’imagerie est efficacement éliminée de l’espace public, celui des gens du commun (‘amma) , en particulier dans le monde arabe – ou arabo-berbère devrait-on dire, puisqu’on observe au Maghreb l’éradi­ cation complète de riches traditions de figuration héritées du monde antique, et un aniconisme radical. Delacroix observera encore que, même dans la ville cosmopolite de Tanger, « leurs préjugés sont très grands contre le bel art de la peinture » (à Pierret, lettre du 2 février 1832). Est-ce à dire qu’il n’y aurait pas de grand art dans la Méditerranée musul- mane ? C’est tout le contraire et, bien longtemps, le monde de l’Islam dame le pion sur ce point à l’Occident, vers lequel il diffuse ses tissus et ses tapis, ses céramiques, ses objets ornementés en métal, bois incrustés, cuirs. Une culture aristocratique raffinée parvient même à des sommets dans les registres des arts de la décoration, de l’architecture, des jardins. Pourtant, la dextérité picturale va s’enfermer pour longtemps dans l’art du calame, dans la virtuosité calligra- phique qui se plaît à ruser avec la figuration, mais comme une sorte d’exploit paradoxal. Pour le reste, l’Islam pense, à juste titre, ne rien avoir à attendre de l’Europe dans les grands registres de la culture matérielle. Modernités Pourtant, avec ce que l’on appelle en Europe la Renaissance, un écart se met en place, accompagnant ou peu s’en faut le « décollage » économique et technolo- gique qui, bien qu’il ait pour centre l’Europe du Nord, déborde quand même sur la Méditerranée. Les techniques de représentation connaissent alors une révolu- tion sans précédent : avec l’invention de la perspective géométrique mais aussi de l’industrie des pigments, avec également une réorganisation de la demande qui, faisant éclater le monopole des aristocraties religieuses et politiques, la peinture s’embourgeoise et se privatise. Cela conduit à une laïcisation manifeste des pra- tiques picturales et aussi à l’autonomie des thèmes et objets susceptibles d’être

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