Pêche | Faget, Daniel; Gilbert, Buti

Pêche 1177 l’abandon momentané des champs. En 1543, à Cassis, à la suite d’une longue période de sécheresse, des paysans tentèrent de compenser la médiocrité de leurs ressources en exploitant le domaine maritime. Cependant, la nouvelle et provi- soire orientation n’a pu se réaliser qu’en amplifiant des pratiques en usage et en prenant appui sur un savoir-faire aux mains de certains. La disponibilité d’une ressource agricole, qui transformait parfois les revenus tirés de la mer en reve- nus d’appoint, légitimait les choix de tel ou tel type de pêche par les commu- nautés. Dans le Languedoc et le Roussillon, les pêcheurs-vignerons de Leucate, de Banyuls ou de Collioure, adeptes du sardinal ou de la petite pêche lagunaire, s’opposaient ainsi, au xviii e siècle, aux patrons de Gruissan ou de Sète, très tôt convertis à l’usage de la « pêche aux bœufs ». Face à l’absence de toute connaissance globale des changements qui ont affecté les communautés, une représentation édénique des pêches du passé est aujourd’hui généralisée. Cette reconstruction a pour corollaire la vision d’un patrimoine immobile, et pose comme certitude la rationalité de techniques arti- sanales jugées plus respectueuses de l’environnement que les pêches industrielles contemporaines. Cependant, loin de constituer un monde immuable, l’industrie halieutique méditerranéenne a connu une série d’évolutions de grande ampleur au cours des quatre derniers siècles. La première concerne l’essor des arts traî- nants. À partir de la fin du xvii e siècle, la diffusion de la « pêche aux bœufs » (le bou catalan), connue dès le Moyen Âge dans la lagune de Valence, a changé radicalement les caractères de la traîne. Désormais pratiquée par deux navires couplés, marchant à la voile en tirant un filet de grande dimension, cette tech- nique a amélioré considérablement le rendement des pêches. Dès son apparition dans les différents ports de la Méditerranée occidentale, elle a été immédiate- ment imitée, provoquant son extension rapide, en moins de trente ans, du nord du pays valencien jusqu’à l’Adriatique. Portée par des pêcheurs catalans, la diffu- sion du procédé illustre bien l’absence de toute fixité des méthodes de pêche en Méditerranée aux siècles passés. Présente sur les côtes du Roussillon dès 1725, la « pêche aux bœufs » atteint le littoral languedocien en 1726. Elle franchit le Rhône l’année suivante, puis apparaît à Gênes et à Livourne, où elle se développe en direction des côtes du Latium et de Campanie sous l’impulsion des pêcheurs de Gaète et de Naples, malgré une interdiction affirmée par l’ensemble des États concernés. Pôle de diffusion de la technique de la « pêche aux bœufs », la côte catalane offre l’exemple de communautés de pêche puissamment transformées par les conditions économiques et sociales nouvelles qui sont celles de cette partie de la péninsule Ibérique à partir de la fin du xvii e siècle. Alors que sa population est multipliée par deux entre 1713 et 1787, la Catalogne connaît un mouvement de pré-industrialisation qui entraîne un accroissement de la demande alimentaire. La diffusion de la « pêche aux bœufs » peut donc être considérée comme une

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