Patrimoine | Isnart, Cyril

Patrimoine 1161 Les instaurations publiques du patrimoine Mais l’attention internationale sur le patrimoine s’est également forgée dans les politiques culturelles nationales, coloniales et postcoloniales des États européens. Les institutions publiques, suivant le modèle d’appropriation politique du patri- moine par les réglementations françaises des Monuments historiques, ont imposé sur leurs territoires, comme sur les espaces colonisés du Sud de la Méditerranée, les principes de l’étude et de la valorisation d’éléments réputés donner sens et racines aux récits d’origine de la nation et aux efforts de colonisation. Les régimes du Nord de la Méditerranée ont développé des politiques patrimoniales particulièrement efficaces en tentant de restaurer, jusqu’à la reconstruction littérale, les vestiges des civilisations censées être à l’origine de la nation contemporaine. L’Italie fasciste est de ce point de vue paradig- matique. Son désir d’extension méditerranéenne s’est fondé sur l’héritage de l’Empire romain. Elle a mené des campagnes archéologiques et construit des musées dans ses villes métropolitaines et dans ses colonies (Petricioli, 1990). En Turquie, la fondation de l’État laïque de Mustapha Kemal a privilégié la valorisation patrimoniale de la civilisation anatolienne, préislamique et pré- chrétienne, afin d’assurer un fondement historique à la République naissante. L’Égypte également a su conjuguer souci du passé et positionnement politique intérieur et international, lors du tour de force technique et diplomatique du déplacement des temples pharaoniques d’Abou Simbel pendant la construc- tion du barrage d’Assouan. Les politiques de colonisation, et la conquête de l’indépendance, comme en Algérie (Oulebsir, 2004), s’accompagnent généralement d’une intensification du regard sur le patrimoine culturel, le plus souvent en accord avec les puissances au pouvoir. La France, installant des institutions de gouvernance locale, a très tôt manifesté son intérêt pour les sites archéologiques antiques, ainsi que pour les populations berbères que le récit colonisateur associe aux mêmes ancêtres que ceux des Français. Des enquêtes et des chantiers de fouilles sont program- més sur le territoire, et le patrimoine fait rapidement l’objet de promotion tou- ristique. On ouvre les musées, comme celui du Bardo à Alger, qui seront censés exposer les objets en Algérie même, afin de susciter l’admiration de l’œuvre colo- nisatrice, mais également de contenter les demandes de l’intelligentsia locale. On voit en effet se développer une conscience patrimoniale chez les générations de Français algériens qui fondent le Comité du Vieil Alger et se battent pour la sauvegarde des formes indigènes d’architecture, en parallèle avec le dévelop- pement d’un intérêt pour les artisanats locaux. Des figures intellectuelles indi- gènes participent de ce mouvement, témoignant de l’imprégnation de l’idée de

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