Orientalisme | Pouillon, François

Orientalisme 1132 la peinture orientaliste. C’est dès le xix e siècle, avec l’ère des « réorganisations » (Tanzimât) , que l’Empire ottoman se soucie d’envoyer en Europe des étudiants à l’École des beaux-arts. Curieusement, ce sont des militaires : ils ont pour mis- sion de se perfectionner dans ce mode de récolte de l’information qu’est le dessin. Deux noms importants peuvent être attachés à cette mutation : ils sont tous les deux d’origine ottomane, mais l’un d’eux est algérien. Le premier, c’est Osman Hamdi (1842‑1910) qui vient en Occident prospérer à l’ombre du grand Jean-­ Léon Gérôme (1824‑1904) dont il subvertit avec humour les thèmes après en avoir repris les techniques – il est aussi le fondateur du musée d’Archéologie d’Is- tanbul. Le second, Mohammed Racim (1886‑1975), est l’inventeur d’une école algérienne de la miniature. L’un et l’autre vont reprendre la thématique orien- taliste et jusqu’à ses stéréotypes, tout simplement parce que c’est alors la voie légitime pour la figuration de la différence. Malgré leurs parcours fondamen- talement originaux, du fait même de leur caractère pionnier, ils représentent la première phase de cette révolution technologique, celle de la maîtrise de l’excel- lence et aussi la reconnaissance de la notoriété tant auprès de leur peuple que sur le marché occidental. Quantité d’autres noms peuvent être placés dans ce sillage, de professionnels de la peinture qui ont fait, à leur manière, de l’orien- talisme : parce qu’ils y étaient pour ainsi dire commis d’office, parce que cela leur paraissait bon et même parce que cela constituait pour eux une figuration légitime de leur peuple. Dans tout l’espace colonial, cette formule va dominer la production des peintres de toute origine, mais inscrits désormais dans un terroir : « pieds-noirs » méditerranéens ou pas, juifs autochtones, chrétiens arabes et, finalement, musul- mans – cela tardivement, mais de façon irréversible, mobilisés qu’ils sont par le souci d’affirmation identitaire par la photographie, le cinéma, la télévision, l’ima- gerie politique en général, religieuse même. C’est donc une véritable révolution culturelle que l’on voit s’imposer dans l’ensemble du monde musulman avec l’émergence d’une peinture vernaculaire orientalisante. Il y a dans ce registre beau- coup d’éléments divers : d’abord les peintres occidentaux qui ont pris racine ici, comme ceux qui ont été amenés en Algérie par la villa Abd el-Tif (1909‑1962) ; puis les minorités religieuses indigènes qui se sont approprié ce médium pour des représentations communautaires ; il y a enfin les musulmans qui sont passés de l’autre côté du miroir, manifestant à la fois une rupture culturelle et un héri- tage de l’âge colonial à l’époque de l’indépendance. Un tel passage des images n’a pas été sans une transformation fondamentale – non pas plastique le plus souvent, mais anthropologique. Arrêtons-nous sur ce point. L’accumulation d’images durant toute l’ère coloniale relève – on le lui a assez reproché – d’une logique impériale. Elles en portent certains stigmates que l’on a soulignés : supériorité et schématismes, essentialisation, insistance sur certains

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