Orientalisme | Pouillon, François

Orientalisme 1131 L’espace artistique Qu’en est-il de l’avènement d’un orientalisme artistique qui ne soit pas l’apa- nage des gens du Nord, pour un public (et un marché) du Nord ? Il suit en par- tie la même dynamique nationale et nationaliste que l’on a repérée à propos de l’orientalisme savant. Mais d’autres choses s’y révèlent. On a vu ce qu’il en est des sujets et thèmes : le pittoresque des paysages, le caractère des « types » anthropologiques et des « scènes » pittoresques, portés par une exaltation romantique de la différence, voire de l’étrange, et tributaires d’une définition raciale de la culture. On peut en faire à peu près l’inventaire avec quelques tableaux emblématiques de Delacroix : la force sauvage avec les grandes Fantasia (1832, musée Fabre, Montpellier, avant beaucoup d’autres), le harem avec les Femmes d’Alger (1834, Louvre), le fanatisme religieux avec les Convulsionnaires de Tanger (1837, Minneapolis), les cérémonies domestiques avec la Noce juive au Maroc (1837‑1841, Louvre), le despotisme politique avec le portrait équestre de Moulay Abderrahmane, sultan du Maroc (1845, musée des Augustins, Toulouse) – mais déjà avec la Mort de Sardanapale (1828, Louvre) –, plus d’innombrables paysages et évocations végétales et animales. Tout y est, mais, à y bien réfléchir, il n’est pas indispensable de traverser la Méditerranée pour cela : à l’octroi de Paris, le Douanier Rousseau va bientôt sortir autant de luxuriance et d’étrangeté de la lumière de l’Île-de-France et de son génie de coloriste. Même si l’étrangeté est en partie magnifiée, en partie maudite – ce n’est pas nécessairement la même –, concédons à Edward Said (1978) qu’il y a là construction d’une image chargée de différence, unilatérale : les sujets de ces figurations n’en sont pas les destinataires, et bien des caricatures s’ensuivent. Celles-ci résultent fondamentalement d’un renoncement des cultures de l’Islam à la figuration narrative, d’un refus de la description circonstanciée, à quoi l’on préfère un discours officiel, doctrinal même sur les choses, et une mise en défens de larges pans de la vie sociale, avec tout ce qui appartient au monde féminin, au monde de l’intime. Tout cela va néanmoins exploser du fait de l’acculturation considérable qui accompagne la modernité induite par la colonisation. Un signe avant-coureur est indiscutablement ici le succès considérable et précoce remporté par la photo­ graphie avec la multiplication des studios locaux – qui compense le caractère longtemps encombrant autant que fragile des appareillages. Mais l’art du portrait est aussi rapidement recherché comme un genre endogène. La peinture étant le moyen d’enluminer cela, il ne faudra pas attendre la fin de l’ordre colonial pour que des Orientaux se préoccupent de s’approprier cet outil éminemment stratégique qu’est la peinture (Pouillon, 2010). Le premier pas sera précisément

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