Orientalisme | Pouillon, François

Orientalisme 1130 réelle promotion des archéologues locaux. Encore est-elle souvent de façade ou de convention diplomatique, les « homologues » indigènes ne parvenant pas à trouver une légitimité véritable face à leurs correspondants étrangers. Même si la prérogative politique de nationaux est désormais indiscutable, l’indépen- dance scientifique des archéologues tarde à être atteinte. Dans la mesure où elles sont aux mains d’intellectuels subalternes et en tout cas marginalisées, les cultures minoritaires, qui s’attachent à maintenir les « par- lers » souvent considérés comme des « patois », semblent paradoxalement mieux traitées. Elles sont l’objet d’érudition domestique, portées par une ferveur nos- talgique ou militante, un souci de sauvegarde autant que d’affirmation politique qui peut s’avérer dangereuse. Le cas des Berbères du Maghreb est exemplaire à cet égard. Peinant à acquérir un statut de civilisation autre que vernaculaire, cantonné dans une histoire et une tradition orale, locale, le monde berbère en vient à connaître une remarquable promotion, savante autant que statutaire, avec son inscription dans une civilisation scripturaire, marquée par la recherche ou la création d’alphabets parfois vénérable (le libyque) ou réadapté (le tifinagh), au détriment de systèmes de transcription beaucoup plus précis et pédagogique- ment plus efficaces (Dominique Casajus, 2015). Remarquons que le caractère abscons de certaines inventions est un bénéfice pour une culture de scribes, et apparaît à ce titre comme une promotion. La réhabilitation des parlers régio- naux au nord de la Méditerranée – catalan, occitan, corse, etc. – relève de la même dynamique de promotion. Pourquoi les intellectuels du Sud désertent-ils aussi longtemps le registre du discours savant ? C’est évidemment parce que la place était prise par des spécia- listes occupant déjà les positions, et aussi qu’ils ont d’autres manières de reprendre la main : dans l’espace politico-religieux, avec l’avènement du réformisme en islam où ils s’attachent à reconvertir de l’intérieur la religion à la modernité ; dans l’espace laïque du roman, de la poésie et de l’essai où ils trouvent un écho popu- laire et, finalement, une légitimité plus large. L’histoire et les sciences humaines vont être le seul registre universitaire où ils obtiennent une reconnaissance mais, avouons-le, plus idéologique que scientifique. Il s’agit dans ce cas de réaliser l’aggiornamento de l’héritage colonial. Dans cet espace même, la consécration passera pour l’essentiel par les universités du Nord où se retrouvent finalement, sauf exception militante, les universitaires libanais, égyptiens, turcs et maghré- bins qui ont obtenu une notoriété internationale. Le problème de fond reste l’incapacité des nouveaux États à ménager un espace universitaire assez libre des pressions du politique, ou de briser l’encerclement qu’y déploie l’islam intégriste.

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