Orientalisme | Pouillon, François

Orientalisme 1129 dans ce registre de la philologie allemande, la dynamique des recherches univer- sitaires du Nord, font plutôt de la région un objet pour des recherches venues du Nord : la vigueur des voyages culturels impulsés par les aristocrates qui se livrent au « Grand Tour », les fouilles archéologiques conduites par des agents consu- laires dans le registre assez méprisé des vieilles pierres surprennent les indigènes qui préfèrent penser que l’on se donne toute cette peine pour trouver des trésors. Mais l’orientalisme arrive là dans le sillage d’opérations de domination politique et commerciales amorcées, dès le xviii e siècle, et qui vont s’accentuer avec la domi- nation technologique et militaire manifeste aux xix e et xx e siècles. De fait, il faut reconnaître que la lente et difficile prise de conscience patri- moniale des cultures du Sud, et le développement d’un savoir autochtone sus- ceptible de concurrencer ceux du Nord, n’apparaissent qu’avec l’émergence d’une conscience nationale. Après que l’Empire ottoman eut laissé partir quantité de monolithes d’Égypte, les frises monumentales de Pergame et du Parthénon, vers les musées de Berlin et de Londres, ce sont les États émergents qui se sont souciés, souvent avec le soutien de savants occidentaux (Mariette, par exemple en Égypte), de mettre fin au pillage. C’est un travail de fourmi des voyageurs et trafiquants de tous bords, dont on voit les merveilles aboutir dans les musées européens, américains, voire japonais, qui a représenté un drainage considérable mais assez peu sanctionné jusqu’à l’époque contemporaine. Pour l’étude des langues mortes et de l’histoire des « grandes civilisations », les indigènes conservent également une part assez minime. À l’exception des intellec- tuels juifs ou arméniens, qui parviennent à transformer leur pécule linguistique en bénéfice académique, force est de constater que les intellectuels musulmans et même arabes choisissent d’autres terrains que l’université pour s’illustrer. Il est vrai que l’arabe savant, sous la pression notamment de Silvestre de Sacy, est alors souvent considéré comme une langue morte et que c’est même une sorte de handicap de sembler s’inscrire dans la langue « vulgaire ». Et ce n’est qu’avec la colonisation et la promotion, lente et partielle, d’universitaires indigènes que commence une patrimonialisation du savoir. Pour l’Algérie, la lignée qui va des Bencheneb (1869‑1929, pour l’aîné) à Bencheikh (1930‑2005) [pour les bio- graphies des différentes figures évoquées dans ce texte, voir les notices de notre Dictionnaire des orientalistes de langue française (Pouillon, 2012)] est exemplaire, mais elle est reversée finalement au seul bénéfice d’une université française. D’autres exemples en Égypte ou en Turquie ramènent de grands intellectuels vers les universités des métropoles. Jusqu’à l’avènement des études « postcoloniales », qui insistent sur les origines des chercheurs, ils restent limités. Pour l’archéologie, la maîtrise des langues « classiques » autres que l’ottoman, le persan ou l’arabe reste toujours l’apanage de savants étrangers. Il faut attendre les indépendances et la passation des institutions gestionnaires aux nouveaux États pour voir une

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