Orientalisme | Pouillon, François

Orientalisme 1128 de ses « caravanes bibliques » (Jaussen, 1948) ; sans parler des paradigmatiques bachi-bouzouks, mercenaires de sac et de corde sortis de la mosaïque orientale. En somme, il existe bien un orientalisme méditerranéen qui présente toutes les caractéristiques générales – ou plutôt tous les stigmates – que l’on impute à cette manière de voir les choses : soulignement du caractère sauvage et de la différence, assignation d’une identité collective qui tient en particulier au sang, essentia- lisme et archaïsme, etc., mais cet orientalisme passe à travers l’espace social de la Méditerranée et, en ce sens, c’est un orientalisme intérieur. Pas d’orientalisme au Sud ? Y a-t‑il cependant un orientalisme méditerranéen, au sens où il serait assumé par des intellectuels autochtones, et pour leur propre compte ? C’est une tout autre affaire. Car s’il y a bien des savants ou des artistes issus de l’espace méditerranéen qui se targuent, s’illustrent dans ce domaine de diverses manières, ces savants et ces artistes ne se distinguent en rien de ceux des métropoles ou des universités du Nord, leur base naturelle, où ils ont été formés, et avec lesquelles ils restent liés pour leur activité professionnelle, leur promotion dans l’institution et l’es- sentiel de leur légitimation scientifique. Y a-t‑il eu cependant un orientalisme Sud-Sud, qui soit à la main des intéressés pour la traduction et la patrimonia- lisation de leur savoir, pour leur affirmation identitaire et la production d’une image assumée ou rectifiée aux yeux d’autrui ? La réponse que l’on peut faire à cette question sera différente en fonction des différents sens que recouvre la notion d’orientalisme. Deux au moins : un orientalisme « savant », fondé sur l’analyse des textes et spécialement de textes juridiques et sacrés, sur l’analyse des langues qui a tendance à confiner à l’ana- lyse des peuples, sinon des races d’une part ; de l’autre, un orientalisme « pic- tural » ou, plus largement, artistique – musique, décoration, littérature –, avec des évocations plus ou moins imagées de la différence et de la spécificité interne. Ces deux registres ne sont pas totalement indépendants puisque la peinture a eu un moment pour fonction d’instruire ou de faire connaître par le truchement de représentations, autant que les livres savants, mais leur rap- port au discours officiel et académique est significativement différent. Il faut donc préciser les contextes. En ce qui concerne la tradition savante, celle qui part de la recherche théolo- gique sur les livres et les Lieux saints, de l’étude des langues classiques ou de l’his- toire antique, avant de donner progressivement une formulation plus laïcisée de l’approche des civilisations, il faut reconnaître que l’on ne voit pas vraiment émerger une prise en main autocentrée par des Méditerranéens. La domination écrasante

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