Orientalisme | Pouillon, François

1133 Orientalisme thèmes « primitifs ». Mais cela constitue également une considérable accumu- lation de savoirs, rangés de façon assez méthodique dans un inventaire encyclo- pédique des facettes de l’humanité. Ce caléidoscope n’est pas d’ailleurs limité à l’espace colonial de la domination. Il s’étend à toutes les terres habitées – où l’on ne déteste que les « pages blanches » – et même à l’espace domestique des métropoles, de leurs régions et de leurs écarts. Avec la montée des mouvements nationaux, les reformulations identitaires de la périphérie, cet ensemble est pro- fondément restructuré. Il est désormais pensé à l’échelle d’un territoire natio- nal, ou de celui d’une région, voire d’une religion : monde arabe, monde juif, monde turc, Islam, et éventuellement espace des minorités à pulsion nationali- taire : monde arménien, kurde, berbère, etc. Les images qui ont été produites sur chacune de ces vigoureuses unités sont reprises en compte comme des éléments documentaires de mémoire, de valorisation ou d’érudition. Un certain filtrage est fait des appréciations et connotations disgracieuses. Mais il en demeure une culture de la différence et de la variété, qui est brandie dans une logique d’affir- mation identitaire. Il va en être de même du marché de la peinture orientaliste. Ceux qui suivent les ventes orientalistes qui ont fleuri à partir des années 1980 savent bien que les cotes commerciales sur ce marché ne relèvent pas seulement de la réhabili- tation de l’académisme, voire du « pompier », ni d’un goût retrouvé pour l’im- mense métier et l’exotisme « kitch » que véhiculent ces images. Il est aussi le produit de marchés plus spécialisés de la part de nouveaux États nationaux soucieux de reconstituer un patrimoine dans ce domaine de l’image et des pro- ductions artistiques. Les collectionneurs privés fortunés investissant dans l’art, les États eux-mêmes, à travers la constitution de collections pour leurs musées, sont des acheteurs importants. Le cas exemplaire est celui d’Étienne Dinet élevé, par ordre d’un ministre de la Culture, à la dignité de « maître de la pein- ture algérienne ». D’autres cas d’un marché régional se sont constitués vers la Turquie et le Liban. Mais les pays pétroliers du Golfe ouvrant récemment de grands musées achètent intensivement tout ce qui touche aux pays musulmans, de préférence des hommes en prière et avec des réticences néanmoins concer- nant les personnages en trois dimensions et l’exhibition de nus (Pouillon, 1997 et 2012 ; Pouillon et Vatin, 2011). Ce marché dynamique ne vise pas seule- ment la peinture et, autour, les formes diverses de représentations : cartes pos- tales, photographies, sculptures, livres illustrés et travaux savants de tous ordres, à condition qu’ils aient une dimension descriptive. Cela touche aussi aux objets décoratifs qui constituèrent une vraie tradition autochtone d’une réelle gran- deur : arts du textile, du bois, du cuivre, décorations diverses, notamment la céramique, éléments d’architecture. Il arrive que ces arts indigènes aient été res- taurés, voire refondus, par les institutions coloniales – voir à cet égard l’œuvre

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